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Paris-Luttes-Info
Entretien avec un·e anarchiste d’Israël – On ne peut pas se permettre de rester silencieux·ses
#Israel #Hamas #Palestine #Gaza #Cisjordanie
Article mis en ligne le 16 novembre 2023
dernière modification le 14 novembre 2023

Entretien avec un·e anarchiste venant de Haïfa, en Israël, pour discuter du mouvement anarchiste moderne, de l’occupation israélienne de la Palestine, de la résistance contre cette occupation et de perspectives pour le futur.

Je suis un·e anarchiste d’Haïfa, en Palestine occupée. Je suis actif·ve depuis plus d’une décennie, principalement dans le mouvement anti-colonial et de solidarité avec les Palestinien·nes, le mouvement de libération animale et le mouvement écologiste.

Comment es-tu devenu·e anarchiste ?
En gros : le punk. Une réponse plus détaillée est évidemment un peu plus compliquée que ça. Lorsque l’on grandit comme colon sous un régime d’apartheid colonial, du « bon » côté du mur, que l’on est assigné·e juif·ve par l’État, on attend tout naturellement de nous que l’on ne se rebelle pas et que l’on devienne un gardien de prison comme les autres. On grandit entouré·e d’imagerie militariste, d’endoctrinement sioniste à l’école, et des événements historiques tels que l’holocauste ou la religion juive sont instrumentalisés pour servir le patriotisme et la propagande nationaliste. La version du judaïsme enseignée ici est que nous sommes le peuple élu, que cette terre nous appartient par décret divin, que Dieu est un agent immobilier qui peut être utilisé dans tout conflit foncier, et que tous·tes les autres sont destiné·es, au mieux, à être des citoyen·nes de seconde zone.

Il est très difficile d’expliquer à des camarades à l’étranger à quel point le sionisme est un projet collectif. Israël ne dispose pas d’une vraie société civile. Tout est acceptable, tant que c’est au sein de frontières prédéfinies et très limitées. On peut être de gauche, gay, freak, tout ce que l’on veut – nous sommes des libéraux éclairés et il y a de la place pour tout le monde – mais il faut être sioniste, faire son service militaire, être un·e citoyen·ne loyal·e et ne pas aller trop loin. Si possible, il faut aussi être blanc·he et riche en plus de tout cela. Le moindre pas en dehors du consensus national vous fait devenir un·e traître illégitime.

L’étroitesse d’esprit et de rébellion dans le cadre sioniste peut être observée, par exemple, dans le mouvement social de masse pour « sauver la démocratie israélienne » de ces derniers mois (actuellement suspendu à cause de la guerre), dirigé contre la réforme judiciaire. Même lorsque des centaines de milliers d’israélien·nes sortent dans la rue tous les week-ends contre ce qui est clairement une tentative de coup d’extrême-droite, iels font toujours tout leur possible pour ne pas mentionner l’apartheid et l’occupation de la Palestine, et iels se battraient pour sauver « la démocratie juive » ; c’est-à-dire un régime de supériorité ethnique pour elleux, le status quo. Les deux camps de ce mouvement caractérisent un conflit intérieur aux colons sur comment mieux gérer l’apartheid : de l’approche libérale contre l’approche fasciste.

Évidemment, peu importe qui gagne, les populations non-juif·ves de cette terre – en premier lieu et avant-tout les palestinien·nes – ne peuvent qu’y perdre. (...)

Nous devons développer une politique anti-israélienne, nous retourner contre notre société, et rejoindre les opprimé·es et les colonisé·es, selon leurs modalités et sous leur direction. L’anarchisme me donne à la fois le langage et les outils pour imaginer cette politique. Il n’y a, pour moi, aucune « société anarchiste » à atteindre, car ce n’est pas un objectif final. Je vois plutôt l’anarchisme comme un mouvement de résistance, un arsenal d’outils pour que les opprimé·es du monde entier luttent contre la dystopie actuelle, et c’est cela qui m’y attire. (...)

Existe-t-il encore quelque chose qui ressemble à un mouvement anarchiste en Israël ?

Si l’on considère que l’on vit à une époque où toute personne avec une connexion internet peut constituer une cellule anarchiste, on pourrait dire que oui ! En réalité, pas tant que ça, il n’y a pas vraiment de mouvement. Je dirais, au mieux, qu’il y a des individu·es éparpillé·es ici et là, quelques sous-cultures chez la jeunesse, quelques esthétiques, mais pas de structures, groupes, ou même de discussions véritablement organisées. En général, je dirais que la société israélienne est très à droite, classe ouvrière incluse, et que l’on apprend aux gens à vivre dans une crise d’angoisse constante et à voir l’État comme son parent protecteur, sans qui on est tous·tes condamné·es. Demander aux israélien·nes d’abandonner l’État revient à leur parler dans une langue étrangère. Je ne pense pas que ces idées ont une chance de se propager et de devenir populaires ici de sitôt, compte-tenu de ces conditions. Je pense, cependant, qu’il a une chance de devenir un phénomène aux marges de l’empire (...)

Les images parvenues du sud d’Israël le jour de l’attaque du 7 octobre étaient évidemment très difficiles à gérer émotionnellement, il n’y a rien à célébrer à propos du massacre de nombreux civils, et d’après toutes les définitions et standards, cela constitue un crime de guerre. Les choses doivent cependant être vues dans leur contexte. Il n’y a aucun exemple dans l’histoire d’un mouvement de résistance et d’une libération pures et « propres », qui n’a pas tué de personnes innocentes. Que ce soit la résistance à l’apartheid en Afrique du Sud, à la colonisation britannique de l’Inde, la lutte contre l’esclavage en Amérique, ou la résistance à l’occupation nazie à travers l’Europe – dans toutes ces situations, des personnes innocentes sont mortes. Ce n’est pas pour justifier quoique ce soit, mais la demande de purisme seulement pour le mouvement de libération palestinienne est irréaliste. La plus grande responsabilité revient à l’occupant. (...)