
L’État hébreu accuse l’agence onusienne chargée de l’aide aux réfugiés palestiniens de complicité avec le Hamas. Mais à ce stade, les preuves manquent. En plein chaos à Gaza, l’agence a perdu de nombreux financements.
Articles de presse par centaines, déclarations d’élu·es du monde entier, réseaux sociaux en toupie, un tourbillon d’accusations… Depuis un mois, la polémique autour de l’UNRWA, l’agence des Nations unies qui fournit de l’aide humanitaire et des services publics aux 6 millions de réfugié·es palestinien·nes, ne s’arrête pas.
Tandis que la guerre israélienne à Gaza, qui a entraîné la mort de 30 000 Gazaoui·es, provoque une désolation sans précédent, l’agence onusienne qui, depuis 75 ans, fournit aide et protection à la population palestinienne est la cible d’une offensive majeure menée par Israël et ses relais.
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Pour les défenseurs de l’État d’Israël, en revanche, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, son nom français, est une organisation honnie, accusée de complicités coupables avec le terrorisme. L’État hébreu milite comme jamais pour son démantèlement. (...)
Ces dernières années, Israël a souvent porté le fer contre l’UNRWA, qu’il accuse de longue date de « perpétuer le conflit au Proche-Orient » en entretenant l’idée d’un droit au retour pour les 6 millions de réfugié·es palestinien·nes dont elle s’occupe dans les Territoires occupés, en Jordanie, en Syrie et au Liban – un droit au retour « inaliénable », affirmé en 1974 par l’Assemblée générale de l’ONU, dont l’agence tire son mandat. (...)
En 2017, comme le rappelle France 24, le gouvernement israélien évoquait déjà sa dissolution et le transfert de ses responsabilités au Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR). Un an plus tard, alors président des États-Unis, Donald Trump avait déjà suspendu les crédits à l’agence onusienne. (...)
La menace du « démantèlement »
Fin décembre 2023, un rapport classifié du ministère des affaires étrangères israélien présentait d’ailleurs « un plan de démantèlement de l’UNRWA à Gaza en trois étapes. Avec, comme première étape, le fait de révéler la coopération entre l’UNRWA et le Hamas », rappelle France 24. (...)
L’État hébreu a mis ses menaces à exécution. Désormais, la guerre est totale. (...)
Le déclenchement de la tornade remonte au 26 janvier dernier. À La Haye (Pays-Bas), la Cour internationale de justice enjoint l’État Israël à agir pour prévenir le risque, « plausible » selon elle, de génocide à Gaza. Le même jour, Philippe Lazzarini publie un communiqué déflagrateur. (...)
Les salariés sont licenciés immédiatement, sans preuve. À l’encontre des procédures habituelles. (...)
Au total, selon l’UNRWA, 450 millions de dollars de contributions ont été depuis un mois suspendus ou mis sur pause. Ce quasi demi-milliard de dollars en moins, c’est plus du tiers du budget annuel de l’agence, financée à 90 % par les dons volontaires des États, et seulement à 10 % par l’ONU.
Concrètement, pour l’agence, c’est une catastrophe. « Jusqu’à présent, nous avons maintenu nos activités, les écoles, les centres de santé, la distribution de l’aide humanitaire, et payé les salaires de nos 30 000 employés, explique à (...) Mediapart Tamara Alrifai, la porte-parole de l’UNRWA. Mais financièrement, nous ne sommes désormais pas en mesure de tenir plus qu’un mois… si toutefois les gouvernements qui ont gelé leurs contributions ne reviennent pas sur leur décision. » Vendredi 1er mars, l’Union européenne a annoncé le versement de 50 millions d’euros. Un montant moindre qu’attendu. De quoi, toutefois, tenir quelques semaines de plus. (...)
À Gaza, pilonnée par Israël depuis plus de quatre mois, l’UNWRA est partout, et depuis longtemps. L’agence a été créée en 1949 pour venir en aide aux 700 000 réfugié·es palestinien·nes expulsé·es lors de la création de l’État d’Israël, « en attendant une solution juste et durable à leur sort ». (...)
Désormais, ils sont 6 millions, dans les Territoires occupés, en Jordanie, au Liban et en Syrie, répartis dans 58 camps de réfugié·es que gère l’agence. La solution politique, elle, n’est toujours pas là. Alors l’agence continue sa mission. (...)
Là où elle intervient, l’agence gère 700 écoles et les soins médicaux. À Gaza, où elle compte près de la moitié de son effectif (13 000 de ses 30 000 employé·es), l’URNWA assure même des missions de service public comme l’assainissement ou l’entretien des rues. (...)
L’agence entravée
Désormais, sur place, l’urgence est totale. Deux millions de Palestinien·nes se massent dans le sud de l’enclave, vers Rafah, où Israël a annoncé une possible attaque militaire imminente. D’après l’UNRWA, l’aide a diminué de moitié au mois de février par rapport à janvier. (...)
« Les derniers hôpitaux s’effondrent, les docteurs amputent les enfants sans anesthésie, […] la famine est imminente. […] Nous sommes au bord d’un désastre monumental », a averti le commissaire général de l’UNRWA le 24 février. C’est évidemment le pire contexte, insiste-t-il, pour s’en prendre à son agence. Surtout si les « preuves » de la collusion de certain·es employé·es de l’UNRWA avec le Hamas n’ont toujours pas été avancées. (...)
En plus d’un mois, Israël a en effet beaucoup accusé, mais à ce stade peu prouvé (...)
Depuis un mois, l’UNRWA multiplie les contre-feux. L’agence a même créé une page spéciale sur son site pour répondre à la « désinformation ». Les salariés qui auraient participé ? « Horrifiant » si cela est avéré, selon Philippe Lazzarini. Qui rappelle que chaque année, les listes des effectifs de l’agence sont envoyées aux autorités israéliennes, qui n’ont jamais rien trouvé à redire.
Le nombre de militants ou sympathisants supposés du Hamas en son sein ? « Des chiffres communiqués à travers des médias ou les réseaux sociaux et qui n’ont jamais été communiqués à l’UNRWA ni aux Nations unies, dit Philippe Lazzarini à Mediapart. Je n’ai absolument aucune idée d’où ils viennent, sur quoi ils sont basés, sur quelles informations, sur quels renseignements, ni qui sont ces individus. » Les tunnels ? L’UNRWA n’est pas géologue, mais quand elle a trouvé des tunnels (« à une ou deux reprises, pas plus que cela », selon Lazzarini), l’agence a informé Israël et protesté auprès du Hamas. (...)
Israël refuse de donner des « détails » (...)
Israël détient-il des preuves tangibles, et communicables, de ce qu’il avance ? À ce stade, elles n’ont en tout cas pas été partagées. D’après le Guardian, les enquêteurs de l’ONU n’en ont pas vu la couleur. (...)
Pour l’UNRWA en tout cas, le mal est fait. Israël la considère comme une agence paria à contourner absolument. Dans sa plus récente lettre à l’ONU, Philippe Lazzarini recense de multiples représailles récentes contre l’agence, délogée de bâtiments à Jérusalem, privée d’un de ses comptes bancaires par une banque israélienne, visée par deux lois hostiles à la Knesset, et contre ses collaborateurs, interdits d’accès à Jérusalem.
L’agence doit maintenant retrouver, et vite, la confiance de ses donateurs. C’est loin d’être gagné. (...)
Ancienne ministre des affaires étrangères d’Emmanuel Macron, Catherine Colonna a été chargée début février par le secrétaire général de l’ONU d’une mission pour évaluer sa « neutralité ». Son rapport, qui sera réalisé avec trois instituts de recherche européens, n’est pas attendu avant avril. Un autre, réalisé par le bureau d’audit de l’ONU, doit enquêter sur le fond des allégations israéliennes.
Sollicitée par Mediapart, l’ancienne ministre ne dit rien du travail qu’elle mène actuellement. Mais elle, dont les futures conclusions sont déjà mises en doute par certaines voix très hostiles à l’UNWRA, par exemple cet édito du Wall Street Journal qui rappelle un de ses anciens tweets vantant son utilité, tient à rappeler l’importance de l’agence onusienne sur place. (...)
« L’UNRWA, créée en 1949 dans les circonstances que l’on sait, ne serait plus au travail s’il y avait eu une solution politique, insiste-t-elle. Tous les États membres de la communauté internationale, y compris depuis qu’il y a une offensive médiatique contre l’UNRWA, estiment qu’elle joue un rôle irremplaçable. C’est une vérité première, partagée par tout le monde. »
Sauf par les dirigeants israéliens, bien décidés à rayer l’UNRWA de l’équation palestinienne.