
Après la prise d’Alep et de Hama, la progression rapide des rebelles islamistes radicaux et des groupes armés proturcs vers Homs met à rude épreuve les Kurdes syriens, coincés entre le régime de Bachar al-Assad et ces groupes insurgés. Déjà fragilisés, ils se retrouvent contraints à fuir et voient s’éloigner un peu plus leur rêve d’autonomie.
Une coalition de forces rebelles syriennes a lancé une offensive éclair le 27 novembre depuis le nord-ouest de la Syrie. Après s’être emparées d’Alep, la deuxième ville du pays, celles-ci ont pris la ville stratégique de Hama jeudi 5 décembre, avant d’avancer jusqu’aux portes de Homs, avec la capitale Damas en ligne de mire. (...)
Le front est tenu par un groupe hétéroclite d’opposants au régime de Bachar al-Assad, parmi lesquels se trouvent les forces islamistes de la Hayat Tahrir al-Cham (HTC) – émanation de l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda qui portait auparavant le nom de Front al-Nosra – mais aussi l’Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de groupes armés proturcs.
Parallèlement à l’assaut lancé sur le front ouest d’Alep le 27 novembre par la HTC depuis leur bastion d’Idleb, les groupes soutenus par Ankara, implantés le long d’une large partie de la frontière turque, se sont engouffrés dans la brèche depuis le nord. Ils ont commencé à s’emparer de territoires au nord-est d’Alep, et notamment de la ville de Tal Rifaat, proche de la frontière turque, et des villages environnants, le 1er décembre. (...)
Bataille à Tal Rifaat et exode forcé
Mais Tal Rifaat n’est pas un bastion acquis à Bachar al-Assad. Cette ville à majorité arabe a vu des dizaines de milliers de familles kurdes affluer en 2018 après une offensive de la Turquie et des groupes qu’elle soutient contre la région proche d’Afrine. Aujourd’hui, elle se trouve dans une enclave jusqu’ici contrôlée par les forces kurdes, entourée de régions tenues par des groupes proturcs et l’armée syrienne.
Tal Rifaat était tenue plus précisément par les Unités de protection du peuple kurde (YPG), noyau dur des Forces démocratiques syriennes (FDS). Or Ankara affirme que les YPG sont des séparatistes kurdes, qu’elle considère comme des terroristes liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), interdit en Turquie.
Les violents combats qui ont eu lieu à Tal Rifaat ont poussé des dizaines de milliers de Kurdes à fuir vers des territoires tenus par la minorité plus à l’est. Mazloum Abdi, le chef des FDS, a déclaré mercredi que ses forces avaient tenté sans succès d’"établir un corridor humanitaire" entre la région et les zones contrôlées par les FDS pour permettre l’évacuation des civils et empêcher "des massacres".
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), environ 200 000 Kurdes syriens s’y sont retrouvés encerclés.
Les forces kurdes délogées à Alep (...)
Quelques heures après la chute d’Alep, des images ont montré des convois de combattants kurdes quittant la ville sous la surveillance de troupes de la HTC réjouies et criant "Allah akbar" ("Dieu est grand").
À Alep, les civils kurdes piégés à l’intérieur de la ville contrôlée par les rebelles sont inquiets, comme le rapportent les Observateurs de France 24, qui ont recueilli le témoignage d’un habitant de Cheikh Maqsoud ayant souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. "On ne sait pas ce qu’il va se passer, on est plongés dans l’incertitude. On se sent seuls et abandonnés", disait-il. "Je ne crois pas les promesses des islamistes quand ils disent qu’ils ne nous feront pas de mal. Ils ont déjà commencé à supprimer les Asayish – la police kurde du quartier. Après cela, ils pourront devenir violents."
"Les Kurdes de Syrie ont de bonnes raisons d’avoir peur" (...)
Dara Salam, chargé d’enseignement au département de politique et d’études internationales de l’université Soas de Londres, estime que les communautés kurdes du nord-ouest de la Syrie se retrouvent une fois de plus à la merci des ambitions turques. "L’objectif unique de l’ASN est de mettre en œuvre la politique syrienne d’Ankara : détruire l’entité kurde et prendre le dessus sur le régime d’Assad", poursuit-il. "Avec les combats de ces derniers jours, les Kurdes sont une fois de plus confrontés à des déplacements, des massacres et des persécutions de la part de groupes jihadistes-islamistes dans de nombreux endroits comme Alep, Tal Rifaat, et à Shehba." (...)
Aujourd’hui, les Kurdes sont de plus en plus isolés, même si une entente fragile et de circonstance semble se tisser avec la HTC. "Nous voulons une désescalade avec la Hayat Tahrir al-Cham et d’autres parties, et que nos problèmes soient résolus par le dialogue", a expliqué à la presse Mazloum Abdi, chef des forces dirigées par les Kurdes en Syrie, qui estime que la progression rapide des rebelles menés par la HTC du nord vers le centre du pays imposait une "nouvelle" réalité politique en Syrie.
En 2019, lors de son premier mandat, Donald Trump avait annoncé son intention de retirer les dernières troupes américaines de Syrie, laissant les Kurdes sans défense face à l’avancée de la Turquie. Une trahison ayant laissé un goût amer pour les FDS, qui ont joué un rôle crucial dans la reconquête de territoires aux mains du groupe État islamique, appuyées par les États-Unis. (...)