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Mediapart
En expansion, la menace terroriste d’extrême droite alarme les services de renseignement
#extremedroite #violences #police
Article mis en ligne le 6 juin 2025
dernière modification le 5 juin 2025

Le meurtre de Hichem Miraoui, dans le Var, remet sur le devant de la scène le danger que représente l’extrême droite violente, voire terroriste. Les services de renseignement s’inquiètent de la montée en puissance de cette menace. Depuis 2017, près de vingt projets d’attentats ont été déjoués en France.

Les assassinats, à trois semaines d’écart, d’Aboubakar Cissé, un Malien de 22 ans tué dans une mosquée du Gard, et de Hichem Miraoui, un Tunisien de 45 ans abattu dans le Var par un voisin ouvertement raciste, remettent sur le devant de la scène le danger que représente l’extrême droite violente.

C’est la première fois, dans le cas de Hichem Miraoui, que le Parquet national antiterroriste (Pnat) se saisit d’un meurtre possiblement inspiré par les idées d’extrême droite. Mais il s’agit par contre de la vingtième procédure liée au terrorisme d’extrême droite ouverte depuis 2017, pour l’essentiel des projets d’attentats déjoués avant le passage à l’acte (...)

À cela s’ajoutent des attaques qui n’ont pas obtenu la qualification de terrorisme, mais qui y ressemblent à s’y méprendre. Comme l’octogénaire raciste Claude Sinké, ancien candidat du Front national, qui avait tenté de mettre le feu à la mosquée de Bayonne, avant de tirer à plusieurs reprises sur deux fidèles, les blessant grièvement.
Une résurgence du terrorisme d’extrême droite

Cette menace de l’extrême droite violente, voire terroriste, est aujourd’hui au centre des préoccupations des services de renseignement.

En 2023, lors du procès de la cellule néonazie « Waffenkraft », le chef de la sous-direction judiciaire de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait brossé un état des lieux de cette menace : « Il y a une montée en puissance d’une nébuleuse mondiale. La menace d’ultradroite est considérée comme une véritable menace terroriste, perçue comme la menace numéro un dans certaines démocraties occidentales, notamment anglo-saxonnes. Et la France n’est pas à l’abri… »

Entre 2010 et 2020, trente-huit attaques d’extrême droite ont eu lieu dans le monde (dont 47 % en Europe), avait-il expliqué. Et elles ont fait, d’après le décompte de la DGSI, 791 victimes dont 243 morts. (...)

Des groupes qui se professionnalisent et s’arment facilement (...)

Bon nombre de militants d’extrême droite manifestent une fascination pour les armes, et pratiquent le tir sportif ou la chasse. Dans une vidéo diffusée en 2021, les youtubeurs d’extrême droite Papacito et Code Reinho – un ancien militaire qui propose des formations au maniement des armes – expliquaient d’ailleurs comment se procurer des armes avec des permis de chasse.
Des profils hétéroclites

Une autre crainte réside dans les profils des activistes, pour partie bien insérés, tranchant avec l’image des groupuscules d’extrême droite violents composés de post-adolescents vivant en marge de la société.

Dans au moins quatre affaires sous enquête au Pnat, tous les âges sont représentés et les personnes impliquées, hommes et femmes, ont entre 20 et 60 ans. On trouve à la fois des personnes issues de milieux populaires et de milieux plus aisés.

Les uns ont voté pour le Rassemblement national (« le moins pire ») ou quitté le RPR, l’UMP ou LR pour des mouvements groupusculaires. D’autres parlent d’un engagement à droite. La DGSI a d’ailleurs créé une nouvelle catégorie pour les profils atypiques de cette mouvance, issus des classes moyenne ou supérieure, convertis au catholicisme au lendemain des attentats du 13-Novembre, insérés dans la société, adeptes des réseaux sociaux et désirant passer à l’action violente : les « néopatriotes ».
Des membres des forces de l’ordre « réceptifs » à ces discours

Parmi ces activistes, une constante cependant : la présence de membres des forces de sécurité. En 2021, sur les sept affaires alors en cours d’instruction, le parquet général de Paris en comptait cinq impliquant des militaires ou d’anciens militaires. Ce qui rejoignait les inquiétudes émises en 2018 par la DGSI, qui comptabilisait alors « une cinquantaine de policiers, gendarmes et militaires » parmi leurs « objectifs », suivis pour leurs liens avec « l’extrême droite violente ».

Et quand ils ne font pas partie des forces de sécurité, ces militants gravitent parfois autour. (...)

« La profession joue un rôle. Évidemment que les policiers et militaires composent des populations particulièrement réceptives à un certain discours », reconnaissait le commissaire de la DGSI auditionné au procès « Waffenkraft ». (...)

La crainte du « loup solitaire » intoxiqué par la propagande

Mais la crainte principale des autorités est celle d’un individu seul, fatigué d’une extrême droite « de témoignage », qui déciderait de passer à l’action de manière isolée. Cette inquiétude figurait d’ailleurs noir sur blanc dans une note de la DGSI en mars 2019, et dans le rapport du parquet général deux ans plus tard : « Dans pratiquement tous les cas, ceux qui ont été appréhendés ont basculé dans un projet terroriste en partie car ils ne se reconnaissaient ni dans le Rassemblement national ni dans un groupuscule radical. »

Les magistrat·es relevaient d’ailleurs que, « comme dans le phénomène djihadiste, ces individus ne sont seuls qu’au moment de commettre l’acte violent », car « auparavant, ils ont tous fréquenté, a minima en ligne, un milieu militant, même virtuel, et ils ont baigné dans une prose haineuse où affleurent sans cesse les appels à l’action ».

La mouvance bénéficie notamment d’un réseau de chaînes YouTube tenues par des « influenceurs » aux discours explicites, tels que Papacito qui, entendu par la police après l’une de ses vidéos simulant l’exécution d’un « gauchiste » en 2021, avait reconnu une « erreur » et de la « maladresse » sur la forme, tout en assurant que sa vidéo avait « pour but d’aider les gens d’extrême gauche à survivre à la société qu’ils ont fabriquée ».
L’obsession de la guerre civile interraciale

Les attaques ou projets d’attaques de l’extrême droite violente prennent pour cibles quatre catégories de la population : les personnes non blanches, les juifs, la communauté LGBTQI+, et des représentants de l’État. En arrière-plan, la figure du « traître » qui, selon le parquet général, a pour fonction de « souder la communauté autour d’un contre-modèle militant et renforcer la vision bipolaire et antagoniste du champ politique ».

Les populations musulmanes demeurent cependant leurs cibles privilégiées. (...)

Plus largement, les militants d’extrême droite tentés par l’action violente se réfèrent régulièrement au mouvement survivaliste racialiste blanc, qui prédit un inévitable effondrement énergétique, écologique, politique et social.

L’influence du modèle djihadiste (...)

L’extrême droite violente va jusqu’à reprendre certains codes ou mots, comme la référence au « djihad blanc » de certains groupes d’extrême droite américaine, le site d’extrême droite français baptisé « EuroCalifat », ou, tout récemment, les mots de Christophe Belgembe, mis en cause pour le meurtre de Hichem Miraoui : « Il n’y a pas d’allégeance à Al-Qaïda ou à quoi que ce soit. C’est l’allégeance au bleu, blanc, rouge, voilà. »