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Éléphants en fuite, habitants en danger : l’envers du pipeline de Total en Ouganda
#Ouganda #TotalEnergies
Article mis en ligne le 23 mai 2025
dernière modification le 21 mai 2025

Les travaux du projet Tilenga-Eacop de TotalEnergies ont commencé en Ouganda. Depuis, les éléphants fuient pour venir s’approvisionner dans les villages. Au risque de provoquer de graves accidents avec les humains.

C’est l’un des projets d’extraction d’énergie fossile les plus titanesques en cours de réalisation, loin de nos regards, et qui nous concerne pourtant toutes et tous : Tilenga-Eacop, de plus de 1 400 km à travers l’Ouganda et la Tanzanie. Un oléoduc chauffé battant tous les records, dans le but d’exporter du pétrole ougandais vers le monde entier : pour nos voitures, nos avions, notre plastique, nos cosmétiques. Reporterre vous emmène tout au long du tracé, à la rencontre des habitants et des paysages bouleversés. (...)

Une route bitumée traverse, longiligne, des kilomètres et des kilomètres de forêt humide enrobant l’air de fraîcheur. Des grappes de babouins chauffent leur postérieur sur le tarmac. Cette route a été construite au milieu du parc national des Murchison Falls — l’un des plus anciens d’Ouganda, protégé depuis 1952 — pour permettre l’exploitation des gisements pétroliers découverts, en 2006, sous ce parc et sous le lac Albert voisin. (...)

Dix plateformes de forage, contenant une douzaine de puits chacune, sont construites ou en cours de construction dans le parc — au total, 426 puits seront creusés. Après des années d’exploration pétrolière et d’aménagement, les forages ont commencé en 2023. Le tout, dans le cadre du projet Tilenga de TotalEnergies, pour extraire du pétrole et le transporter via le pipeline Eacop. Celui-ci traverse sur plus de 1 400 km l’Ouganda puis la Tanzanie, avant de s’exporter dans le monde entier à partir de l’océan Indien. (...)

7 décès attribués aux éléphants (...)

Aussi loin que le regard se porte, désormais, il n’y a plus d’animaux à la ronde. Le contraste est saisissant : où sont passés les buffles, les girafes, les éléphants ? Tous partis, en raison des travaux.

« Entre les systèmes d’éclairage, les routes bitumées, les bruits, les puits, les animaux ne sont plus tranquilles », selon Patrice, un responsable local de l’organisation Tasha Research Institute Africa. Résultat : les éléphants, bouleversés par ce chahut et privés d’une partie de leur nourriture, sortent du parc et vont vers les villages, où les incidents s’intensifient depuis 2021.

« Pour moi, c’est Total qui a amené le problème des éléphants, tranche Ibrahim, à la tête du village de Kabolwa, où plusieurs de ces incidents ont eu lieu. Les éléphants viennent trouver sur nos terres des nouveautés comme des mangues ou des fruits du jacquier. » (...)

Dans un rapport de septembre dernier, l’ONG ougandaise Afiego (Africa Institute for Energy Governance) dénonce une combinaison fatale entre les effets du changement climatique, le braconnage (favorisé selon l’ONG par la nouvelle route goudronnée) et les activités pétrolières, pour expliquer les sorties des éléphants du parc. Depuis 2022, sept décès de villageois leur sont imputés, selon le recensement des associations et des locaux interrogés. (...)

Entre villageois, « on s’appelle pour se prévenir : “Les éléphants sont là !”, c’est la seule façon que l’on a de se protéger ». Certains les tuent, confient plusieurs habitants du district : « A-t-on vraiment le choix ? » (...)

Plusieurs témoins affirment que les éléphants sont de plus en plus nombreux à sortir du parc depuis 2 ou 3 ans. Auparavant, les incidents étaient rares et la cohabitation avec les éléphants était sans accroc. Désormais, comme chez la famille d’Agaba, les pachydermes viennent chercher leur nourriture dans les cultures et jardins des habitants, détruisant tout sur leur passage. (...)

« Faute de dédommagement, les gens abandonnent leurs terres : les éléphants en profitent pour étendre leur territoire. » (...)

La multinationale reste ferme sur son analyse : « Aucune modification des comportements ou des déplacements des éléphants n’est attribuable aux activités pétrolières. »

Une affirmation rejetée en bloc par Patrice, de l’organisation Tasha : « Total doit prendre ses responsabilités sur ce sujet. » « En attendant, les éléphants sont toujours là, appuie Dankin. Nombreux. » (...)

Pour de nombreux habitants du district, les éléphants incarnent la cruelle désillusion du pétrole. En quelques années, le visage de Buliisa a changé du tout au tout. Auparavant basée sur une économie de l’échange, de l’agriculture et de la pêche dans le lac Albert, cette ville est devenue le cœur du réacteur. Les femmes tenant des restaurants ouverts sur la rue, avec une table et quelques chaises, servaient des assiettes de riz et de haricots rouges aux ouvriers du chantier. Ce plat fait pour tenir au corps est parfois accompagné de matoke, une sorte de banane plantain, pour seulement 3 000 shillings ougandais (75 centimes). (...)

Les ouvriers, logés depuis plusieurs mois dans des baraquements sur les sites du chantier, ont déserté les restaurants et le bar de la ville. Restent les espoirs déçus. « Le pétrole ? Nous n’en avons rien obtenu, tranche Dankin. Pas même du travail. J’ai été reçu trois fois en entretien, on ne m’a jamais rappelé. Ils ramènent des gens de Kampala, d’autres districts. » (...)

Certains viennent aussi de pays voisins. Dans la presse nationale, les autorités ougandaises répètent de leur côté que 90 % des travailleurs employés sont Ougandais. (...)

« À l’arrivée du secteur pétrolier, on pensait que ça nous apporterait du travail. Mais en fait, il est impossible d’être employé, abonde Joseph, l’un des habitants. La ville a changé en apparence. Vivre ici est devenu plus difficile. »

Le projet Tilenga-Eacop est sous étroite surveillance du gouvernement ougandais. (...)

Pour rencontrer les habitants affectés par le projet Tilenga-Eacop et approcher les infrastructures pétrolières de Buliisa, nous avons tourné en voiture avec un lanceur d’alerte toujours sur ses gardes, fait venir des villageois dans une ville voisine plus sûre pour pouvoir leur parler en toute sécurité. Le reste du temps, nous avons utilisé autant que possible des messageries chiffrées et rencontré des étudiants en résistance dans la confidentialité d’un jardin d’hôtel, plutôt que dans leur propre université.

Cette série de reportages a été réalisée avec le soutien financier de la bourse "Brouillon d’un rêve" de la Scam. (...)

Pour rencontrer les habitants affectés par le projet Tilenga-Eacop et approcher les infrastructures pétrolières de Buliisa, nous avons tourné en voiture avec un lanceur d’alerte toujours sur ses gardes, fait venir des villageois dans une ville voisine plus sûre pour pouvoir leur parler en toute sécurité. Le reste du temps, nous avons utilisé autant que possible des messageries chiffrées et rencontré des étudiants en résistance dans la confidentialité d’un jardin d’hôtel, plutôt que dans leur propre université.

Cette série de reportages a été réalisée avec le soutien financier de la bourse "Brouillon d’un rêve" de la Scam.