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Didier Dubasque
Les mots du travail social : quand la novlangue tue le sens et entrave la communication
#mots #langue #novlangue #communication #travailsocial #democratie
Article mis en ligne le 17 avril 2024
dernière modification le 15 avril 2024

Les mots ont une importance capitale. Surtout dans le champ du travail social. Ils permettent de décrire les situations, de nommer les problèmes et de définir les actions à mener. Pourtant, force est de constater que les mots utilisés sont souvent vides de sens, usés jusqu’à la corde, et qu’ils entravent la communication plutôt qu’ils ne la facilitent.

Des mots employés à toutes les sauces

Qui n’a pas constaté que le langage du travail social est soumis aux effets de mode. Certains termes qui apparaissent soudainement, sont largement utilisés pendant un certain temps, puis disparaissent ou sont remplacés par d’autres. Ainsi, le terme « insertion » est en train d’être remplacé par « inclusion », sous l’influence des politiques sociales européennes. De même, certains mots sont usés à force d’avoir trop servi, comme les notions de « participation », « projet », « acteur », « aide », « développement », « citoyenneté », « autonomie ». Ces mots, qui sont « tendance », incontournables, finissent par fatiguer l’auditoire et sont remplacés par de nouveaux termes, par exemple celui de « développement durable ».

Mais que signifient réellement ces mots ? (...)

Des mots qui masquent la réalité

Les mots utilisés dans le champ du travail social peuvent aussi masquer la réalité des situations. Ainsi, l’expression « l’usager est au centre du dispositif » est répétée à l’envie, mais la réalité est souvent bien différente. Dans les faits, l’usager reste relégué à la périphérie, et les professionnels pensent à sa situation en son absence. De même, l’utilisation du terme « évaluation » pour désigner à la fois le diagnostic et le bilan peut créer de la confusion et masquer les enjeux réels de l’intervention sociale.

Certains termes utilisés pour désigner les personnes accompagnées peuvent être réducteurs et stigmatisants. (...)

Des mots qui entravent la communication

L’utilisation de ces mots vides de sens et réducteurs entrave la communication entre les professionnels du travail social et les personnes accompagnées. (...)

Les mots ne sont pas que des mots. Ils ont un pouvoir, un impact sur la façon dont nous pensons et agissons. Il est donc essentiel de les choisir avec soin, de les utiliser à bon escient, et de les interroger régulièrement pour s’assurer qu’ils reflètent toujours la réalité et les enjeux de notre travail. (...)

L’effacement de la solidarité ?

Le terme « solidarité » a tendance à être remplacé par celui de « cohésion sociale » dans le discours politique et institutionnel. Cette évolution sémantique n’est pas anodine, car elle reflète une évolution des représentations et des valeurs sous-jacentes.

La « solidarité » renvoie à une notion de partage, d’entraide et de soutien mutuel entre les membres de notre communauté nationale. Il implique une responsabilité collective à l’égard des plus vulnérables et une volonté de réduire les inégalités.

En revanche, le terme « cohésion sociale » renvoie à une notion plus large d’unité et de stabilité sociale. Il implique une volonté de maintenir l’ordre social et de prévenir les conflits, mais pas nécessairement de réduire les inégalités.

La quasi disparition du mot « solidarité » au profit de celui de « cohésion sociale » est à interroger. (...)

Pour les travailleurs sociaux, il est important d’être conscients de cette évolution sémantique et de ses implications. (...)

En fin de compte, les travailleurs sociaux ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre la novlangue. En étant attentifs aux mots que nous utilisons, en étant capables de les critiquer et de proposer des alternatives, nous pouvons contribuer à construire un langage plus juste et plus respectueux des personnes accompagnées. C’est en étant conscients de leur responsabilité langagière que les travailleurs sociaux pourront agir de manière éthique et professionnelle. Ne l’oublions pas, les mots ont un pouvoir considérable. Les ennemis de la liberté, eux, l’ont bien compris. Mais c’est un autre sujet que je vous invite aussi à explorer.

Lire cet excellent article sur ce sujet :

Des mots et des sens. Posture, positionnement, évaluation… Brigitte Portal

Lire aussi :

 blog du Monde Diplomatique/Frédéric Lordon (2021)
Critique de la raison gorafique

(...) À quoi reconnaît-on le gorafique ? À ce qu’il nous fait entrer dans une zone d’indistinction. Il y a du gorafique chaque fois que, confronté à une déclaration politique, on n’est plus en état de déterminer si elle est réelle ou grossièrement contrefaite à des fins d’épaisse caricature. (...)

Le gorafique est donc bien une histoire de réalité et de fiction, plus précisément de réalité désormais systématiquement en avance de la fiction. C’est donc aussi l’histoire d’un drame social, drame de la ruine d’une corporation, celle des scénaristes et des humoristes, à qui les normes de leur univers opposent spontanément, par réflexe méthodologique jusqu’ici bien fondé, un « Coco, là tu vois bien que c’est trop gros », aussitôt démenti – ou confirmé, comment faut-il dire ? – dans la réalité. Même les imaginations les plus débridées, même la créativité la plus échevelée ne peuvent plus suivre. On reconnaît le gorafique à ce que les amuseurs ordinaires sont à la ramasse. Mai 68 avait appelé à ce que l’imagination soit au pouvoir, l’y voilà. Du sommet de l’Etat tombent maintenant en cataracte des dadaïsmes d’une audace inconnue. Le Gorafi ne peut pas en faire l’aveu public, mais lui-même est à la peine. (...)

  • « Muriel Pénicaud : “Pour toucher le chômage partiel, il faudra désormais travailler” »
  • « Muriel Pénicaud appelle les employeurs à “ouvrir leurs chakras pour mieux embaucher” ».
  • « Muriel Pénicaud demande aux intermittents du spectacle de se trouver un vrai travail »
  • « Député LREM : “La méditation pourrait réduire les inégalités à l’école” »
  • « Jean-Michel Blanquer promet deux enseignants supplémentaires pour la rentrée en Île-de-France »
  • « Le gouvernement annonce la création d’un deuxième ministère de l’écologie »
  • « Il y a tellement d’ouragans cette année que l’ONU a épuisé les prénoms disponibles pour les nommer »
  • « Regarder les forces de l’ordre dans les yeux sera maintenant passible de six mois de prison » (...)

Il y a quelque temps, un financier qui avait décidé de surmonter l’incertitude radicale dans les marchés par des voies au moins amusantes, faisait tirer par un chimpanzé, ou bien jouait aux fléchettes, les actifs dont il allait composer son portefeuille. (...)

On ne sait plus trop ce que vaut l’adage selon lequel « le pire n’est jamais sûr », mais l’on sait qu’il est devenu entièrement plausible. On sait aussi que si le gorafique est le fait majeur de notre temps — et maintenant on le dit presque sans rire —, c’est parce qu’il s’est placé exactement sur le nerf de l’époque : l’obscénité déchaînée, sans limite, des gouvernants. La rupture définitive d’une oligarchie devenue folle d’avec le reste de la société se manifeste d’abord dans la langue. (...)

Sécession et obscénité

La nouveauté du temps macronien, abondamment documentée dans tous les registres de sa présence, c’est la chute définitive de toutes les censures, le règne écrasant de ses évidences. Jusqu’à récemment encore, les bourgeois faisaient quelques efforts pour cacher leurs déjections de pensée. Cool de la start-up nation aidant, on n’a plus honte de rien. (...)

La sécession oligarchique se signale en premier lieu au basculement des dominants dans une autre économie morale, distincte de celle du reste de la population. Alors les dominants règlent leur propre conduite, et règnent sur les conduites des autres, depuis un système de repères moraux entièrement hétérogènes, en fait même contradictoires, à ceux des dominés. La chose ne peut que très mal finir. D’ailleurs, elle finit très mal : nous le savons déjà au spectacle d’un autre affaissement moral, dual, complémentaire du précédent, et en fait rigoureusement requis pour la persévérance des dominants : le naufrage moral de la police, dont l’intervention est devenue névralgique pour le régime. (...)

Pas d’hégémonie sans langue hégémonique – blatérée par des répétiteurs, politiciens, technocrates, experts, éditocrates, journalistes ordinaires qui ne savent pas ce qu’ils disent mais le disent avec un naturel qui est la meilleure garantie de l’évidence. À la langue hégémonique d’aujourd’hui, une œuvre de littérature récente a donné sa dénomination plus précise (4) : la LCN, à la manière de Klemperer, et pour les mêmes raisons « latines » que Klemperer (5), Lingua Capitalismi Neoliberalis – la Langue du Capitalisme Néolibéral. Comme toutes les langues de pouvoir, c’est une langue dégénérée : tropes appauvris, mots indigents, segments de langage automatiques. « Il faut libérer les énergies ; nous ne pouvons pas laisser la dette à nos enfants ; les charges écrasent les entrepreneurs ; nous devons retenir les talents ; c’est l’entreprise qui crée l’emploi ; nous avons un problème de compétitivité ; nous avons un problème de flexibilité ; nous avons un problème d’agilité ». C’est la langue des DRH et de BFM, des énarques et du Medef, de la droite modérée et de la gauche intelligente, de la presse de gauche de droite dont bon nombre de titres continuent de chanter la synthèse.

Ça ne pouvait qu’être la langue du macronisme. À ceci près que le macronisme l’a poussée à un point extrême d’absurdité (...)

 Ecouter aussi le podcast de France Culture (45’) :
Sandra Lucbert : France Télécom, la langue néolibérale en procès

Auteure deux romans, "Mobiles" et "La Toile", Sandra Lucbert nous propose "Personne ne sort les fusils", un livre écrit après avoir assisté au procès France Télécom, et dans lequel elle dénonce rageusement l’utilisation,de ce qu’elle appelle la langue du capitalisme néolibéral. (...)

. En écrivain, elle a écouté, observé. Convoquant le Kafka de La Colonie pénitentiaire ou le Melville de Bartleby, dans toute leur puissance métaphorique, elle propose un texte fulgurant et rageur contre la langue et la logique monstrueuses du capitalisme. Elle met au jour avec une admirable finesse la perversité des méthodes et de la novlangue managériale qui, au nom du libéralisme triomphant, brisent nos vies, nos esprits et nos corps. (...)