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Mediapart
Corruption : la police décrypte le manuel du pot-de-vin des grandes entreprises françaises
Article mis en ligne le 16 octobre 2024

Comme tout phénomène criminel, la délinquance en col blanc s’adapte à son époque et aux évolutions législatives. Un rapport policier, obtenu par Mediapart, analyse les méthodes corruptrices utilisées par des entreprises françaises à l’étranger.

La corruption, comment ça marche ? Pour répondre à cette question épineuse, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) de la police nationale a diffusé en interne une note d’analyse sur les « méthodes de versements de pots-de-vin » utilisées par les grandes entreprises françaises pour décrocher des marchés à l’international.

Daté du 12 août 2024, ce rapport, dont Mediapart a pu prendre connaissance, balaie une petite vingtaine de dossiers de « corruption d’agents publics étrangers », un délit entré dans le droit français en 2000. Jusqu’à cette date, le versement de bakchichs à des responsables administratifs ou politiques étrangers était non seulement autorisé par la loi, mais déductible des impôts pour les entreprises qui s’adonnaient à cette corruption systémique. C’est dire l’âge de pierre dans lequel a baigné la France, mais aussi d’autres pays, pendant des décennies. (...)

Pour une grande entreprise qui vit de contrats à l’export, le principe de la corruption d’agents publics étrangers consiste à truquer les règles de la concurrence et à s’assurer l’obtention d’un marché en versant des « rémunérations occultes » sous la forme de « commissions qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros », notent les analystes policiers. Les montages tortueux mis sur pied visent « à dissimuler l’objet réel des flux financiers et à couper la traçabilité entre l’entreprise émettrice et le décideur bénéficiaire ». En somme, entre le corrupteur et le corrompu.

Les spécialistes de l’Office anticorruption de la police judiciaire ont identifié trois « canaux » comme autant d’invariants des pratiques corruptrices de grandes entreprises françaises.

Le règne des « intermédiaires » (...)

Les autres canaux de la corruption

Afin de contourner l’utilisation parfois trop voyante, donc suspecte, d’intermédiaires, certaines entreprises utilisent des prestations de sous-traitance sur un contrat comme véhicule de l’argent noir, soit en les surfacturant, soit en rémunérant une activité carrément fictive. (...)

Une autre astuce finale a été relevée par les policiers : « la gratification sans lien apparent avec le marché ». Par exemple avec l’emploi d’un proche, le rachat de sociétés tierces appartenant directement ou indirectement à un dirigeant d’un gouvernement ou d’une société nationale attributaire, des paiements de voyages et de cadeaux…

Ou encore la prise en charge de dépenses de sponsoring, comme cela s’est vu en Asie du Sud-Est avec une entreprise française (...)

La majorité des affaires évoquées dans la note – douze sur dix-sept – ont fait l’objet d’un règlement par la voie d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Il s’agit, en droit, de l’un des instruments de la justice négociée qui permet à une personne morale d’éviter un procès en payant une amende (plus ou moins salée) contre la reconnaissance des faits découverts par les enquêtes.