
(...) Dans sa décision n° 2025-891 DC du 7 août 2025, Loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, le Conseil constitutionnel a posé sa pierre à l’édifice, comme les parlementaires saisissants l’y avaient invité au titre de l’article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958. Il a ainsi participé à écrire la suite de la pièce.
L’Acte IV en bref – Une censure partielle de la loi « Duplomb »
(...) au terme d’une décision de non-conformité partielle avec réserves, comme le veut la formule consacrée, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme toutes les dispositions incriminées par le saisissant à l’exception de deux d’entre elles, deux autres étant validées bien qu’agrémentées de réserves d’interprétation.
D’abord, celle la plus emblématique figurant dans une partie de l’article 2 de la loi, 3° d) pour être précis (ainsi que le troisième alinéa du b) de ce même 3° qui lui est inséparable) : la réintroduction de l’acétamipride au travers de l’insertion d’un paragraphe II ter au sein de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime qui aurait permis, sous certaines conditions, de déroger par décret à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ou autres substances assimilées, ainsi que des semences traitées avec ces produits.
Ensuite, le Conseil a censuré l’article 8 de la loi qui modifie plusieurs articles du code rural et de la pêche maritime (...) cette seconde censure est essentiellement d’ordre procédural : il s’agit d’un « cavalier législatif ». En d’autres termes, le Conseil constitutionnel estime que cet article, introduit par voie d’amendement en première lecture, n’a aucun lien, même indirect, avec la proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat. Cela ne préjuge en rien du fond de la disposition (...)
la censure d’une partie de l’article 2 de la loi « Duplomb » est bien sûr accueillie positivement par les opposants au texte, mais il ne faut pas non plus crier victoire trop vite. Dans l’Acte IV qui s’est joué et qui, sous peu, va se clôturer, il est possible de voir le verre à moitié plein… comme à moitié vide – c’est selon.
L’Acte IV en détails – une victoire contre la loi « Duplomb » à nuancer (?) (...)
Il démontre, s’il le fallait encore, qu’il est bien loin des standards européens (Cour de justice de l’Union européenne, Cour constitutionnelle allemande, par exemple) dès lors qu’il s’agit d’argumenter en droit. C’est une lacune récurrente du Conseil constitutionnel, mais elle ne mobilisera pas les foules. Il montre, sans doute, avec cette décision, combien il peut être sévère avec l’opposition parlementaire, alors que la majorité à l’Assemblée nationale et le Gouvernement disposent des moyens les plus importants pour faire avancer la délibération parlementaire.
La décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites l’avait déjà montré. Il avait été particulièrement attentif aux conditions du débat parlementaire et rigide vis-à-vis des tentatives d’obstruction de l’opposition (...)
En l’espèce, dans la loi « Duplomb », le Conseil constitutionnel reproche au législateur de ne pas avoir encadré la réintroduction de l’acétamipride, notamment en affinant les conditions de temporalité et de portée de la dérogation.
Sans élément supplémentaire sur les motifs de sa décision, il est possible de s’interroger sur la question de savoir si un article davantage encadré par le législateur, qui prévoirait une telle réintroduction accompagnée de garanties légales suffisantes à l’article 1er de la Charte (comme le législateur y est tenu, ce que rappelle le paragraphe 73 de la décision), une telle disposition serait-elle déclarée conforme à la Constitution ? La question est ouverte, mais elle montre bien que derrière la censure claire de la partie litigieuse de l’article 2 de la loi et le renforcement de la portée de l’article 1er de la Charte de l’Environnement, le législateur pourrait trouver un chemin pour écrire un Acte V à cette pièce qui, décidément, ne cesse de se rallonger (et, comme il fallait s’y attendre, d’alimenter, dans les propos de certains partisans de la loi « Duplomb », un discours de défiance contre les juges particulièrement inquiétant).
Pour le reste des dispositions incriminées par les auteurs des trois saisines du Conseil constitutionnel, ce dernier a écarté leurs griefs, ce qui relativise la censure partielle de sa décision. (...)
L’article 5 et les mega-bassines
Il est à noter que le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 5 de la loi « Duplomb » conforme à la Constitution, à ceci près qu’il en a profité pour formuler deux réserves d’interprétation. (...)
Cet article 5 de la loi vise deux dispositions du code de l’environnement : l’un est susceptible d’affecter des espèces végétales non cultivées ou animales non domestiquées (et leurs écosystèmes) à travers une dérogation à l’interdiction d’y porter atteinte, s’il existe un « intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impérieuses d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique » (§130) ; l’autre porte sur le système dit des « méga-bassines », lesquelles peuvent s’envisager si elles sont présumées d’intérêt général majeur (§131). Le Conseil a formulé une réserve d’interprétation manifestement neutralisante pour les « méga-bassines », ce qui lui permet de préciser que cette présomption d’intérêt général majeur pourrait être renversée.
Une « méga-bassine » n’a donc pas vocation à exister pour toujours (§138). Dans le même ordre d’idées, le Conseil estime, de façon sans doute plus directive que neutralisante, que les « méga-bassines » peuvent conduire au prélèvement d’eaux souterraines, mais pas toutes les eaux : celles des « nappes inertielles » en sont exclues (§137). Chaque fois, les juges du Conseil constitutionnel formulent ces deux réserves sur le fondement du « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » consacré à l’article 1er de la Charte de l’Environnement, ce qui confirme le renforcement de la portée de cet article.
La fin de la pièce ?
Au regard de cette décision, quel (premier) bilan en tirer ? Pour le constitutionnaliste (et certains spécialistes du droit de l’environnement comme Dorian Guinard), il s’agit un peu d’une « victoire à la Pyrrhus ». Certes, il y a une censure claire de la partie emblématique de l’article 2 de la loi « Duplomb » et un renforcement de la portée constitutionnelle de l’article 1er de la Charte de l’Environnement, mais cette censure – qui reste importante – met au second plan la validation d’une procédure d’adoption de la loi particulièrement discutable et qui a été balayée d’un revers de main par le Conseil constitutionnel (comme il fallait s’y attendre, il n’est guère innovant sur les aspects procéduraux) sans autre forme de procès. Bref, une victoire pour les opposants à la loi « Duplomb », mais une défaite (une de plus) pour ceux qui se soucient de la pratique institutionnelle sous la Ve République et ses dérives.
L’Acte IV est désormais sur le point de se clore, puisqu’à la suite de cette censure partielle, l’Élysée a fait savoir que le président Macron « promulguera » le texte « dans les meilleurs délais », sans la réintroduction de l’acétamipride. (...)
Le Président Macron n’a pas seulement à prendre « bonne note de la décision du Conseil constitutionnel », il est tenu par la Constitution de promulguer la loi « Duplomb » amputée des deux dispositions censurées.
Il reste qu’un Acte V peut encore se dessiner, à moins que nous n’arrivions à l’Épilogue de cette pièce : se limitera-t-on à un « simple » débat en hémicycle, à la rentrée, entre députés, à la suite de la réussite inédite de la pétition contre la loi « Duplomb » ? Les parlementaires chercheront-ils à déposer une nouvelle proposition de loi pour réintroduire l’acétamipride ? La loi « Duplomb », même amputée de deux articles, parviendrait-elle à produire des effets rapidement, étant donné qu’un certain nombre de ses dispositions législatives dépend de la rédaction par le Gouvernement de décrets d’application (rappelons, à toutes fins utiles, qu’il est de jurisprudence constante que le Premier ministre est tenu d’exécuter dans un « délai raisonnable » les lois) ? Affaire à suivre (encore une fois) !