
Faisant face à un déficit abyssal, le gouvernement a dévoilé jeudi un projet de loi de finances actionnant tous les leviers d’économies budgétaires possibles pour renflouer les caisses. Au risque de mettre l’économie française à terre…
AuxAux grands maux, les mauvais remèdes. Constatant la perte totale de contrôle de l’exécutif précédent sur les comptes publics due à la chute des recettes fiscales, le nouveau gouvernement de Michel Barnier va imposer en 2025 une cure d’austérité d’une rare violence à l’économie française.
Lors de la présentation du projet de loi de finances (PLF) 2025 jeudi 10 octobre à la presse, puis en conseil des ministres, avec neuf jours de retard sur le calendrier initial, les deux nouveaux ministres macronistes du budget et de l’économie, Laurent Saint-Martin et Antoine Armand, ont d’abord acté le dérapage incontrôlé des comptes.
Ainsi le déficit public devrait s’établir en 2024 à 6,1 % du PIB, contre les 4,4 % prévus initialement. Et sans nouvelles mesures d’économies, la situation risquerait même d’empirer et le déficit atteindrait 6,9 % du PIB en 2025, assurent-ils.
Pour remettre les comptes d’équerre et réduire le déficit public à 5 % du PIB en 2025 – un niveau que les hauts fonctionnaires de Bercy pensent être le bon pour s’éviter les foudres de Bruxelles –, le nouveau gouvernement compte imposer une véritable saignée.
En tout, 60 milliards d’euros d’économies budgétaires en 2025, dont les deux tiers seront des baisses de dépenses publiques, soit l’effort le plus important jamais réalisé hors crises financières, énergétiques et sanitaires. (...)
couper dans ce qui peut rapporter gros et vite. Au risque de mettre l’économie française à terre. Sur France Inter, l’économiste et directrice de recherche au CNRS Anne-Laure Delatte estimait que « les effets de ce choc budgétaire qui risque d’étouffer l’activité » devraient engendrer « une réduction du PIB entre 0,6 et 1 point l’année prochaine ».
Un effet récessif que le gouvernement semble minimiser, (...)
41 milliards de baisses de dépenses (...)
Pour résumer, hormis le ministère de la défense qui voit ses crédits grimper de 3,2 milliards d’euros, l’austérité est généralisée. Pour reprendre les calculs du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel : en tenant compte de l’inflation prévue, le budget alloué au sport serait notamment réduit de 12,3 % en 2025, celui dédié au travail et à l’emploi baisserait de 8,8 %, celui de l’agriculture chuterait de 7,8 %, et celui de la recherche et l’enseignement supérieur de 3,2 %.
En matière d’écologie, près de 2 milliards de coupes sont notamment prévues dans les aides au verdissement de l’économie. (...)
À noter qu’en matière d’éducation, le gouvernement prévoit de supprimer... 4 000 postes d’enseignant·es en 2025. (...)
Durant les discussions budgétaires, qui démarreront en séance publique au Parlement le 21 octobre, le gouvernement prévoit en outre d’ajouter 5 autres milliards d’euros d’économies au budget de l’État par voie d’amendements, mais « qui n’ont pas encore été arbitrés », a expliqué à la presse le ministre du budget Laurent Saint-Martin.
Les collectivités et la Sécurité sociale ciblées
Voilà pour l’État. Mais ce n’est pas fini. Pour atteindre plus de 40 milliards d’euros d’économies, il sera demandé un effort de 5 milliards d’euros aux collectivités locales en 2025, via un prélèvement sur recettes pour les plus importantes d’entre elles, qui rapportera 3 milliards d’euros, et des moindres transferts de TVA venant de l’État à hauteur de 2 milliards. (...)
Des coupes qui irritent les élus locaux. « Nous n’acceptons aucune des mesures », a d’ores et déjà répondu André Laignel, président du Comité des finances locales et vice-président délégué de l’Association des maires de France (AMF). Elles garantissent, selon lui, « la panne des investissements des départements », et « un coup de frein brutal aux investissements du bloc communal ».
Pour compléter le coup de rabot général, l’exécutif compte opérer 15 milliards de coupes dans le budget de la Sécurité sociale, qui sont intégrées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, lui aussi présenté le 10 octobre à la presse et en conseil des ministres.
Et là encore le gouvernement n’y va pas par quatre chemins : il va couper 3,6 milliards dans les retraites en reportant de janvier à juillet 2025 leur revalorisation annuelle. Une mesure politiquement explosive. En outre, près de 4 milliards d’euros d’économies porteront sur le ralentissement de la trajectoire de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam). (...)
Comment va-t-il s’y prendre ? En baissant notamment le taux de prise en charge des consultations médicales des patient·es par l’assurance-maladie, en réduisant les remboursements des produits de santé aux laboratoires, et en abaissant les indemnités journalières pour les arrêts de travail. Mieux vaudra donc ne pas tomber malade l’année prochaine.
Du reste, disons-le, ce budget 2025 s’inscrit, sur certains aspects, en rupture avec le dogme macroniste qui consistait à arroser les entreprises d’aides publiques. Ainsi, toujours concernant le budget de la Sécurité sociale, le gouvernement prévoit de réduire de 3,6 milliards les allègements de cotisations patronales sur les bas et moyens salaires. Allègements qui avaient pourtant bondi de plus de 20 milliards d’euros par an sous Emmanuel Macron, mais sans que la hausse des rémunérations suive.
Enfin, toujours pour renflouer la Sécurité sociale, il est inscrit dans le PLFSS une hausse du taux des cotisations patronales de 4 points sur les salaires des employé·es des collectivités territoriales et des hôpitaux, qui cotisent à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Ce qui lui permettra de récolter 2 milliards d’euros supplémentaires.
Des hausses d’impôts, enfin ! (...)
des hausses d’impôts à hauteur de 19,4 milliards d’euros en 2025.
Les recettes fiscales venant à manquer, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Toutefois, a martelé Laurent Saint-Martin, les hausses d’impôts en 2025 seront « exceptionnelles, temporaires et ciblées ». Comprendre : que les plus aisés et les grandes entreprises se rassurent, on ne les embêtera plus après 2026.
Il est notamment prévu de récolter 8 milliards d’euros en 2025 grâce à une hausse exceptionnelle de l’impôt sur les sociétés de 25 % à 30 % sur les entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, et de 25 % à 36 % au-delà de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Cette surtaxe sera divisée par deux en 2026 et supprimée ensuite. (...)
Une autre surtaxe exceptionnelle, cette fois-ci sur les très hauts revenus – supérieurs à 500 000 euros pour un couple – est aussi prévue. Elle devrait concerner 65 000 foyers en France, soit moins de 0,3 %, et rapporter autour de 2 milliards d’euros.
Autre menue participation exceptionnelle demandée : celle de 500 millions d’euros prévue sur les armateurs, au premier rang desquels le groupe CMA CGM, qui a bénéficié d’un incroyable avantage fiscal lui permettant d’emmagasiner 45 milliards d’euros de profits entre 2020 et 2023, imposés à seulement 2,7 %...
Une manne importante de rentrées fiscales en 2025 proviendra en outre de l’énergie : le dividende d’EDF rapportera notamment 2 milliards d’euros, et la hausse de la taxe sur les tarifs d’électricité qui pèsera sur les ménages rapportera quant à elle 3 milliards.
La perspective du 49-3 (...)
ce budget reste beaucoup trop austère sur la dépense et trop timide sur le volet fiscal pour convaincre au-delà des rangs de la Macronie et du parti Les Républicains (LR).
À gauche notamment, les député·es du Nouveau Front populaire (NFP) viennent de proposer un contre-budget contenant 50 milliards d’euros de recettes supplémentaires pris sur les plus hauts revenus et le grand capital, avec notamment l’instauration d’un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) climatique assorti d’une « exit tax » pour empêcher l’évasion fiscale.
Il ne fait ainsi quasiment aucun doute que ce budget sera adopté par voie d’articles 49-3, tant la majorité de l’exécutif est toute relative au Parlement. Reste à savoir si la motion de censure qui suivra le dépôt d’un éventuel 49-3 obtiendra une majorité à l’Assemblée et fera tomber, ou non, le gouvernement de Michel Barnier.
La balle sera une nouvelle fois dans le camp du Rassemblement national (RN). Or, on peut penser que le coup de rabot dans les pensions de retraite de 3,6 milliards d’euros et la hausse de la taxe sur l’électricité de 3 milliards ne passeront pas auprès du parti d’extrême droite.
Le premier vote en séance publique sur le PLF interviendra le 29 octobre, sur le volet recettes. Soit deux jours seulement avant la niche parlementaire du RN, qui proposera l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 repoussant l’âge légal de départ à 64 ans… La fin du mois devrait donc être extrêmement animée au Palais-Bourbon.