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Mediapart
Aux discussions d’Istanbul, le double visage de la Russie
#guerreenUkraine
Article mis en ligne le 18 mai 2025
dernière modification le 17 mai 2025

Des représentants de l’Ukraine et de la Russie se sont rencontrés en Turquie le 16 mai, une première depuis 2022. Alors que Vladimir Poutine essaie de convaincre Donald Trump qu’il est un homme de paix, sa délégation a multiplié les revendications territoriales fantaisistes et s’est dit prête à « se battre pour toujours ».

Après plusieurs jours de suspense, des discussions directes entre représentants russes et ukrainiens ont finalement bien eu lieu à Istanbul, en Turquie, vendredi 16 mai. Leur rencontre d’une heure et quarante minutes a débouché sur un accord de principe autour d’un échange de 2 000 prisonniers – sans toutefois y fixer de date précise.

Personne, à l’évidence, ne s’est rendu en Turquie de gaîté de cœur, ni Moscou ni Kyiv. « Tout cela est un cirque à destination d’un seul acteur : les États-Unis », constatait l’analyste politique et communicant ukrainien Max Dzhyhun, interrogé le 16 mai, alors que les discussions étaient en cours. (...)

De fait, l’enjeu principal des « négociations » directes et indirectes entre Ukraine et Russie a radicalement changé depuis l’investiture de Donald Trump : il ne s’agit plus d’identifier si un accord de cessez-le-feu ou de paix est possible sur le fond, mais de ne pas se mettre à dos Donald Trump, qui souhaite une fin rapide de cette guerre.

L’Ukraine ne peut pas se permettre d’être de nouveau brutalement privée d’aide militaire états-unienne – et en particulier de son renseignement ; la Russie veut éviter des sanctions financières de Washington et rêve de voir Donald Trump continuer d’accéder à ses revendications sans avoir à faire d’effort particulier.

Devoir échanger directement avec des représentants du Kremlin « ne fait plaisir à personne en Ukraine, mais les gens comprennent que Volodymyr Zelensky fait ce qu’il a à faire dans ce contexte difficile », poursuit Max Dzhyhun. (...)

Sans surprise, ce n’est pas Vladimir Poutine qui s’est présenté en Turquie, ni même son ministre des affaires étrangères, mais une délégation de personnalités de second rang dirigée par l’ancien ministre de la culture Vladimir Medinski. La délégation ukrainienne était elle emmenée par le ministre de la défense, Roustem Oumierov.
Exigences inacceptables

En dépit de tous les efforts de l’administration Poutine pour se dépeindre en bon élève des négociations (et plus globalement comme une « force stable, positive et progressiste » au sein de la communauté internationale, fermement attachée aux principes des Nations unies et au respect du droit international), les quelques éléments qui ont filtré de la rencontre du 16 mai laissent planer peu de doutes sur l’état d’esprit réel des dirigeants russes : toujours déterminés à assujettir l’Ukraine, prêts à menacer ses représentants et s’employant à rendre impossible tout accord de paix dans l’immédiat en multipliant les revendications les plus extrêmes.

Selon une source interne aux discussions citée par l’hebdomadaire The Economist, le chef de la délégation russe aurait pris à partie les négociateurs ukrainiens en ces termes : « Nous ne voulons pas la guerre, mais nous sommes prêts à nous battre pendant un, deux, trois ans, autant de temps que nécessaire. Nous avons combattu la Suède pendant vingt et un ans. Combien de temps êtes-vous prêts à vous battre ? »

Des médias russes présents sur place ont confirmé que le chef de la délégation envoyée par le Kremlin avait fait référence à la grande guerre du Nord, à l’issue de laquelle la Russie de Pierre le Grand a vaincu la Suède de Charles XII (1700-1721). (...)

Il aurait également exigé que l’Ukraine lui cède l’intégralité des provinces de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson – y compris, donc, les parties de ces provinces qui sont encore sous le contrôle de l’armée ukrainienne.

Cette revendication, immédiatement qualifiée d’inacceptable par les Ukrainien·nes, avait déjà été exprimée par Moscou lors d’entretiens précédents avec des représentants des États-Unis. Si cela n’était pas encore suffisant, les envoyés du Kremlin y ont encore ajouté ce 16 mai à Istanbul des menaces sur les régions ukrainiennes de Soumy et Kharkiv (la ville de Kharkiv est la seconde ville la plus peuplée d’Ukraine). (...)

Tous espèrent désormais que l’épisode achèvera de convaincre Donald Trump que la Russie n’est pas sérieusement déterminée à faire taire les armes et qu’il est temps de passer à la méthode forte : les sanctions sur son économie.

Le président des États-Unis l’a plusieurs fois promis mais jamais fait jusqu’à présent. Il semble désormais considérer qu’il doit d’abord en passer par une autre étape : une rencontre directe avec Vladimir Poutine, sans quoi il n’y aura « pas de progrès » dans les pourparlers. Ce dernier a préparé le terrain de longue date en offrant au locataire de la Maison-Blanche – notoirement obsédé par son image – un portrait kitsch et déférent réalisé par un peintre russe. Donald Trump aurait trouvé l’œuvre « magnifique ».