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Au Samu social, des salariées « virées » parce qu’elles sont voilées
#SamuSocial #laicite #foulard #femmes
Article mis en ligne le 17 décembre 2024
dernière modification le 15 décembre 2024

Exclues par un acteur majeur de la lutte contre l’exclusion : c’est ce à quoi sont confrontées des salariées du Samu social de Paris. Plusieurs employées portant le voile y sont poussées vers la sortie. Raison invoquée : la laïcité.

ertaines d’entre nous, et c’est mon cas, sont venues travailler au Samu social de Paris parce qu’on pouvait y porter le voile. » Lors de sa recherche d’emploi, il y a quelques années, Samia* avait le choix entre cet acteur incontournable de la lutte contre l’exclusion et une entreprise lui offrant une meilleure rémunération. À condition qu’elle retire son voile. Alors la jeune femme a opté pour le Samu social, « pour être libre ». C’était sans compter un changement de cap à venir, que tout le monde ignorait alors. À partir du 1er janvier, Samia devra choisir : ce sera son poste au service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) ou sa liberté.

Samia a décidé de quitter l’organisation. Comme environ une dizaine de consœurs sur la vingtaine portant un voile, selon les estimations de la CGT. En cause : une demande de la direction, qui attend désormais de ses agent·es qu’ils et elles se conforment au « principe de laïcité ». La mesure concerne l’ensemble des employé·es, en contact physique avec le public ou non. En cas de non-respect, une procédure disciplinaire pourrait être engagée, selon une note du service des ressources humaines, envoyée en juin dernier. Un document qui acte les annonces faites par la directrice générale, Vanessa Benoit, un an plus tôt. (...)

Laïcité, neutralité, non-discrimination...

« Dès que j’ai appris cela par des bruits de couloir, je me suis dit que je partirai. C’est insupportable de s’entendre dire comment on doit s’habiller, j’ai besoin d’être en adéquation avec moi-même », confie Samia, amère. Comme d’autres, elle pointe la violence d’une telle situation : « C’est d’autant plus violent que c’est un choix contraint. On n’est pas virées parce qu’on n’est pas compétentes, mais pour qui on est. » En 2024, l’ensemble des salarié·es a dû suivre une formation d’une journée, nommée « Laïcité, neutralité des agent·es et non-discrimination », et animée par le cabinet extérieur Convivencia Conseil. Celle-ci revenait notamment sur l’histoire de la laïcité en France.

« Certaines ont eu l’impression que c’était une insulte à leur intelligence », commente un agent. « On aurait clairement pu s’en passer, c’était beaucoup de choses qu’on connaissait déjà », confirme Khadija*, qui a également décidé de mettre un terme à son CDI d’écoutante sociale au 115. (...)

La formation comme le « guide pratique » qui leur a été présenté, abordent une diversité de discriminations et d’exemples de non-respect du principe de laïcité, tout en proposant un « panorama de la diversité des convictions religieuses en France ». Ce qui n’a pas empêché une partie des employé·es de se sentir particulièrement visé·es.

« On s’est dit que c’était une formation pour essayer de montrer que les femmes voilées ne sont pas les seules concernées, mais ce sont bien elles qui sont vraiment mises en avant. Les autres, on ne va pas vraiment prendre en compte ce qu’ils ou elles portent parce qu’on va considérer ça comme discret », commente Khadija. De fait, « il n’y a à ma connaissance que des femmes voilées qui partent », abonde sa collègue Assa*, également écoutante sociale, dont le turban va a priori rester toléré.
Droits des femmes en vitrine, violence institutionnelle en interne

Pour la CGT, il est clair que ce sont avant tout les femmes voilées qui sont « poussées vers la sortie » (...)

Au sein des équipes, difficile en effet de comprendre ce choix soudain d’appliquer une loi datant de plus de dix ans, et perçue comme contraire aux valeurs prônées par le Samu social. Instauré par la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, le statut des groupements d’intérêt public est loin d’être simple. Un décret, paru le 5 avril 2013, est venu préciser le « régime de droit public applicable aux personnels des groupements d’intérêt public ».

« Dans ce cadre, on apprend que les salarié·es d’un GIP sont des agent·es contractuel·es de droit public. Ils et elles sont donc soumis·es aux mêmes obligations que les fonctionnaires, et cela inclut l’obligation de neutralité et de laïcité », explique Julie Creveaux, avocate en droit public au cabinet Admys. « Ça me paraît donc assez cohérent, poursuit-elle. Ce qui l’est moins, c’est que ça arrive maintenant. » (...)

Ni négociations collectives, ni indemnisation

Ainsi, selon la CGT, il n’est prévu ni négociations collectives, ni budget dédié, ni aucune indemnisation pour le préjudice subi. L’organisation syndicale déplore des négociations au cas par cas : « C’est hyper humiliant, car chaque collègue doit quémander, justifier de sa situation personnelle et familiale. Aucune ne part avec la même chose », décrit Jordan Bernard, secrétaire général de la CGT Samu social 75.

Son organisation, qui dénonce « une discrimination intersectionnelle raciste et sexiste » à l’encontre de femmes « expérimentées et engagées », alerte également dans un mail interne datant d’octobre dernier sur « les pressions exercées par les DRH [directeur·ices des ressources humaines, ndlr] pour pousser ces femmes à signer rapidement des ruptures conventionnelles ».

Une situation malvenue, alors qu’une intersyndicale appelait à une journée de mobilisation des agent·es du Samu social, le 19 septembre, pour dénoncer des conditions de travail qui « ne sont plus soutenables ». (...)

« Ça isole encore plus les femmes voilées »

Pour les femmes ayant décidé de partir, peu d’options : s’orienter vers le privé ou se replier sur leur communauté. (...) On arrive donc à l’objectif inverse de celui annoncé : c’est-à-dire que l’horizon pour une femme voilée qui souhaite travailler, c’est la maison. » (...) (...) (...)

Leur avenir professionnel est rendu d’autant plus compliqué que, depuis la loi dite « séparatisme » de 2021, toute structure, y compris privée, gérant une mission de service public, se doit de respecter le principe de neutralité. (...)

. « Des collègues ont peur que ça impacte d’autres femmes voilées qui travaillent dans d’autres associations ou entreprises », confie Khadija. Sans compter le risque d’exposer dans les médias un public qui fait déjà les choux gras de la droite et de l’extrême droite.

Reste néanmoins un paradoxe, qui méritait d’être soulevé, estime Samia : « Cette décision va créer de la précarité, précisément ce contre quoi le Samu social est censé lutter… »