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Mediapart
Dans l’art contemporain, des violences sexuelles mises sous le tapis
#IA #artistes #violencessexuelles #MeToo
Article mis en ligne le 19 février 2025
dernière modification le 16 février 2025

Mediapart a eu accès à un rapport accablant, enterré en mars 2024, visant le président d’honneur du syndicat des galeries d’art. Une affaire emblématique de l’omerta qui règne dans un milieu professionnel qui n’a toujours pas fait son #MeToo.

esLes conclusions de l’enquête réalisée par le cabinet Egaé à la demande du Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) sont édifiantes. Elles dorment pourtant au fond d’un des tiroirs de ce syndicat, depuis près d’un an.

Commandée auprès de l’agence de conseil spécialisée dans la prévention des violences sexistes et sexuelles – qui a par ailleurs recueilli les témoignages de victimes de l’abbé Pierre, rendus publics ces derniers mois –, la note de douze pages synthétise les récits de six salarié·es et bénévoles de l’organisation professionnelle des galeristes. L’enquête, y est-il expliqué, avait été déclenchée par un courriel anonyme mettant en cause l’ex-président et président d’honneur de la structure depuis 2019, Georges-Philippe Vallois.

Cinq des six personnes interrogées relatent avoir été victimes et témoins de comportements problématiques s’apparentant à du harcèlement sexuel (« Tes seins ont grossi »), de la discrimination sexiste à l’embauche, ou encore du harcèlement moral, des violences (jet d’objet sur une salariée, hurlements et injures, menaces de « détruire la vie » de personnes qui ont quitté la galerie) et une agression sexuelle (une main aux fesses d’une stagiaire).

Dans ses conclusions, le cabinet Egaé estime que « la multiplicité des faits rapportés, leur diversité et les différents niveaux de gravité constituent un niveau d’alerte important sur le comportement » du galeriste. Il souligne aussi que « des éléments indiquent que plusieurs autres personnes auraient été visées par des faits similaires » de sa part. (...)

Un rapport enterré

« À la vue de la multitude et de la gravité des faits signalés », la société de conseil recommande in fine au Comité professionnel des galeries d’art de faire un signalement au procureur de la République et de « remonter les informations récoltées au ministère de la culture ». Il préconise aussi de prendre des mesures pour assurer la sécurité des salarié·es et des bénévoles de l’association et de mettre en place un « processus de signalement ».

Selon nos informations, aucune de ces recommandations n’a été mise en œuvre. (...)

Cinq des six démissionnaires nous précisent avoir quitté le CPGA à la suite d’une réunion où a été acté, lors d’un vote, le fait que ce rapport resterait sans suite. « Nous nous sommes levés, “à la Adèle Haenel”, et nous sommes partis », relate l’une d’elles. Certain·es nous ont précisé avoir dû signer au début de cette fameuse réunion une clause de confidentialité leur interdisant de parler de cette affaire.

Interrogée sur le choix d’enterrer ce rapport, la présidente du syndicat, Marion Papillon, qui a annoncé sa démission le 7 janvier dernier, n’a pas répondu. (...)

Un homme de pouvoir

Le rapport du cabinet Egaé insistait aussi sur la « peur » des personnes interrogées, présentant Georges-Philippe Vallois comme une « figure reconnue dans le monde de l’art, dans lequel il exerce un certain pouvoir ».

« Long, charmant, tenace », c’est ainsi que Le Figaro décrivait l’actuel président d’honneur du CPGA, au moment où il avait pris la tête de l’association, en 2011. Avec deux adresses rue de Seine (33 et 36) et un espace de deux étages dans un building de Madison Avenue, à New York (en collaboration avec la galerie moderniste 1900-2000), la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois est l’une des plus puissantes de la place parisienne, comme le prouve sa présence chaque année depuis des décennies à la grande foire d’art contemporain de l’automne (ex-Fiac, aujourd’hui Art Basel Paris). (...)

« Commencer par son cas était le plus difficile, car il obligeait à regarder la situation en face », note une des galeristes démissionnaires du comité professionnel. « Il y a beaucoup de personnages du type de Georges-Philippe Vallois dans le monde de l’art, où vies personnelle et professionnelle s’entremêlent beaucoup, lors de voyages ou d’événements mondains, un peu comme dans le cinéma ou dans la musique. Tout cela permet des débordements, car il n’y a aucun cadre », analyse une autre des démissionnaires.

En juin 2024, quelques jours avant la démission collective du CPGA, une tribune « Pour un #MeToo du monde de l’art » était publiée sur le site Manifesto XXI. (...)

Une précarité propice aux violences

Paraphée par plus de 200 travailleurs et travailleuses du secteur, la tribune « Pour un #Metoo du monde de l’art » lançait également un appel à témoignages, par le biais d’un formulaire en ligne. Anonymisés, les 300 récits reçus, qui vont de la remarque sexiste au viol, sont égrenés quotidiennement sur le compte Instagram @metoo.artcontemporain. Quatre assemblées générales publiques ont par ailleurs été organisées depuis juillet dernier à Paris et Montreuil, réunissant à chaque fois une quarantaine de femmes (et quelques hommes). « On ne veut pas être un #MeToo symbolique, on veut des actions concrètes, poursuit Mathilde. Mais on ne veut pas aller trop vite, chaque AG vient ajuster la stratégie. » (...)

Les chiffres et les faits disent pourtant le contraire. En 2020 le « rapport Racine », rapidement enterré par le ministère de la culture, indiquait que le revenu global moyen des artistes-auteurs (incluant toute activité, y compris hors création) était d’environ 1 476 euros par mois (environ moitié moins pour les femmes). Tous métiers confondus – du gardien de musée au critique d’art, en passant par la régisseuse –, le milieu des arts visuels, où la représentation collective est quasi inexistante, souffre d’une précarité généralisée (contrats courts ou aidés, autoentrepreneuriat, voire gratuité des prestations) et d’un déséquilibre béant des rapports de force.

Dans le réseau plus réduit encore des galeries d’art, qui n’emploient chacune souvent qu’une poignée de personnes, se multiplient les entorses au Code du travail – absence de contrat ou CDD renouvelés indéfiniment, licenciements abusifs, salaires aléatoires, surcharge de travail –, et par conséquent les situations de harcèlement moral, mais aussi sexuel. À ce titre, il est révélateur que le code de déontologie du CPGA ne comporte aucun article concernant le droit du travail dans les galeries. (...)