
Inspirée par le FMI et la Banque mondiale, la stratégie de libéralisation du nouveau président Bola Tinubu a aggravé la crise que traverse depuis près de dix ans le pays le plus peuplé d’Afrique. Le naira, la monnaie nigériane, est en chute libre.
La potion néolibérale ne sauvera pas le Nigéria d’une crise économique sans fin. La thérapie de choc qu’applique le nouveau président fédéral du pays, Bola Tinubu, en poste depuis mai 2023, a aggravé les difficultés économiques du pays, qui est désormais en proie à une spirale inflationniste et à l’aggravation d’une misère déjà généralisée. (...)
La pauvreté « multidimensionnelle », qui prend en compte l’accès réel aux biens et services essentiels, comme la santé, le logement, l’éducation ou la nourriture, ne concerne pas moins de 63 % des Nigérians. (...)
désaveu pour le nouveau président, qui avait misé, dès le début de son mandat, sur des « réformes courageuses » rapides et inspirées par le FMI et la Banque mondiale pour redresser l’économie du pays. Un échec de plus à mettre au crédit de ces institutions qui, malgré les désastres qu’elles causent, ne varient jamais dans leur détermination à imposer leurs idéologies à des pays fragiles. (...)
La bulle des matières premières, au début de ce siècle, permet au pays d’afficher des taux de croissance annuels de 6 à 7 %. Le pays est alors à la mode, on y voit le futur géant africain de l’économie mondiale. Mais l’économie ne se modifie guère et reste encastrée dans les exportations pétrolières.
Une longue crise structurelle
À partir du milieu des années 2010, la situation change entièrement. La crise des matières premières causée par la surproduction chinoise frappe la demande de brut nigérian
Les investissements étrangers se sont concentrés principalement dans le domaine de la consommation, mais l’essentiel de celle-ci est importée et donc payée par les devises issues des exportations de pétrole, qui représentent 83 % du total des ventes nigérianes à l’étranger. Le secteur manufacturier ne pèse que pour 2 % du PIB, rendant ainsi toute l’économie dépendante des ventes de pétrole et des entrées de devises qui en découlent.
Au milieu des années 2010, le pays plonge donc dans une crise inévitable, dont il n’est toujours pas sorti. (...)
La stratégie du choc
Face à la crise, le président fédéral Muhammadu Buhari, ancien général putschiste des années 1980, élu en 2015 et réélu en 2019, donne la priorité à la préservation et à la constitution de réserves de devises, c’est-à-dire au maintien de la capacité d’importer. Il met alors en place un contrôle des importations et un système de taux de change multiples adaptés aux différents secteurs pour tenter de maîtriser ces dernières.
Cette politique ne s’attaquait pas à la source du problème nigérian, mais tentait d’atténuer l’impact de la crise pétrolière par des moyens quasi exclusivement monétaires. Le succès a été pour le moins mitigé (...)
Le nouveau chef de l’État applique alors avec précision le manuel des solutions proposées depuis des années par le FMI et la Banque mondiale, qui réclament le retour à la « vérité des prix du marché » pour attirer les investisseurs internationaux et retrouver des sources de devises.
Mais pour les Nigérians, le coup est très rude. L’essence bon marché est finalement le seul privilège conservé pendant la crise et elle permettait de contenir en partie les prix du transport. Très rapidement, l’essence est stockée par ceux qui le peuvent et elle devient non seulement introuvable, mais aussi inabordable. Les prix de l’essence ont presque triplé. La Banque mondiale, elle, applaudit, estimant que ces mesures sont « un premier pas dans la restauration de la stabilité macroéconomique et dans la création de capacité budgétaire ».
Bola Tinubu joue gros, car le soutien à sa politique dans la population est discutable. Il a gagné l’élection présidentielle du 25 février 2023 dans les pires conditions. (...)
Lorsque, en juin dernier, la présidence annonce la réunification du taux de change et la décision d’adapter le taux officiel du naira aux prix du marché, les applaudissements sont multiples. (...)
Pour conclure ce tournant, le président fédéral suspend le gouverneur de la banque centrale, nommé par l’administration précédente. Il est remplacé par Olayemi Cardoso, un ancien cadre de la filiale locale de la banque états-unienne Citi, qui, en octobre lors de sa nomination officielle, promet une politique monétaire indépendante du politique.
En attendant, le choc sur le pays est considérable. Dès l’annonce du retour à un taux de change unique en juin, le naira perd 23 % de sa valeur face au dollar en une journée, sa plus forte baisse quotidienne depuis 2016. Une baisse qui, logiquement, alimente encore l’inflation et les difficultés quotidiennes des Nigérians.
Triste bilan (...)
La libéralisation des changes n’a pas conduit à un afflux de dollars, bien au contraire. Après sa dévaluation de juin, le naira a continué sa descente aux enfers. (...)
Une dégringolade qui reflète l’absence d’arrivée de billets verts dans l’économie nigérianes. Les applaudissements théoriques sur la politique du nouveau président ne se sont pas traduits en actes d’investissement concrets. (...)
Le bilan de Bola Tinubu est, pour l’instant, désastreux. Il voulait attirer les investisseurs, il semble les faire fuir. Il voulait rétablir la stabilité, il a créé le chaos.
L’impasse des « réformes » (...)
Alors que la situation alimentaire de certaines régions du pays, notamment dans le nord, devient préoccupante, le Congrès du travail nigérian (NLC), le principal syndicat du pays, a lancé un mouvement de protestation ce mardi 27 février pour réclamer le relèvement du salaire minimum qui est bloqué depuis 2019 à 30 000 nairas. Ce salaire mensuel minimal valait alors 83 dollars, il n’en vaut plus que 19 aujourd’hui…
La question est désormais celle de la faim et elle concerne toute la population. (...)
Le gouvernement a annoncé des distributions alimentaires et une commission de contrôle des prix de l’alimentation. Mais la corruption, le manque d’organisation et le peu de moyens rendent ces actions insuffisantes. Le 23 février, à Yaba, près de Lagos, sept personnes sont mortes dans un mouvement de foule lors d’une distribution de riz à bas prix organisée par l’administration douanière. (...)
On est loin des promesses faites par Bola Tinubu d’utiliser les revenus fiscaux issus de la hausse des prix de l’essence pour financer des politiques sociales. Certes, il y a un peu de panique dans le camp présidentiel. (...)
Les autorités ont, par ailleurs, cherché des boucs émissaires à leurs échecs : la banque centrale a ainsi accusé en début de mois, après la nouvelle dévaluation, les changeurs de rue de faire pression à la baisse sur le naira, alors qu’elle-même doit encore 5 milliards de dollars en devises à des emprunteurs.
En réalité, Bola Tinubu ne changera pas d’un iota sa politique, même si des doutes commencent à apparaître. Sa croyance dans les forces du marché ne semble pas s’être laissé atteindre par cette année catastrophique pour son pays. (...)
L’économie nigériane est si fragile qu’il est suicidaire d’attendre la stabilisation par le marché. (...)
« Les forces du marché ne réduiront pas la pauvreté, même à long terme. En fait, elles ont besoin de la pauvreté pour intensifier l’accumulation primitive capitaliste », résume Akpan Ekpo.
Ce dont ce pays a besoin, c’est donc de pouvoir se libérer des exigences du FMI et de la Banque mondiale pour engager une vraie politique de développement permettant au pays de faire face au besoin de son immense et jeune population, tout en se libérant progressivement de la malédiction du pétrole. Une telle stratégie ne peut être réglée ni par des artifices monétaires comme jusqu’en 2023, ni par des lubies néolibérales comme c’est le cas aujourd’hui.