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Au Chili, les féministes au front pour défendre la démocratie
#Chili #feministes#femmes #democratie #extremedroite
Article mis en ligne le 16 novembre 2025
dernière modification le 14 novembre 2025

L’élection présidentielle au Chili, dimanche 16 novembre, portera au pouvoir une femme de gauche ou un homme d’extrême droite. Sur le terrain, les féministes serrent les rangs et occupent l’espace public pour les droits de toutes les femmes.

Santiago du Chili, un vendredi soir d’octobre. Alors que les habitants de la capitale vont et viennent sur la place de la Moneda, au centre de la ville, des femmes se regroupent, sortent des crayons et préparent des pancartes. Le rose de leurs feuilles fleurit les étendues vertes qui s’étirent devant le palais présidentiel.

À quelques jours de l’anniversaire de la révolte sociale qui avait embrasé le pays en 2019, et alors que l’élection présidentielle approche à grands pas, elles tiennent à manifester leur colère, intacte, et à faire part de leur inquiétude face à la menace de l’extrême droite.
Des candidats ouvertement misogynes

La candidate unique de la gauche, Jeannette Jara, est pour le moment en tête des intentions de vote au premier tour, mais elle est suivie par deux personnalités d’extrême droite : José Antonio Kast et Johannes Kaiser, qui sont ouvertement anti-féministes, voire carrément misogynes. (...)

« Ces dernières années, nous avons eu quelques lois qui ont entrepris de limiter les violences que subissent les femmes, et nous avons vu des hommes protester violemment pour conserver leurs privilèges », analyse Pamela Valenzuela, de la coordination 8M de Santiago. Parmi ces textes : la loi dite « Papito corazón » (pour « papa chéri »), qui oblige les pères à verser des pensions alimentaires, y compris en saisissant leurs biens ou leur épargne. « C’est une loi importante, qui rend compte de la violence économique, décrit Claudia Salinas, avocate, membre de l’observatoire législatif féministe Mira. Sachant que 84 % de ceux qui devaient payer des pensions ne le faisaient pas », laissant les mères seules, en proie à une immense précarité. (...)

Les femmes seront aussi touchées par les coupes annoncées dans les budgets publics. Kast a ainsi promis d’économiser environ 5,2 milliards d’euros en dix-huit mois…. Il évoque par ailleurs le remplacement du ministère des Droits des femmes par un ministère de la Famille.

Défendre le droit à l’avortement

Au Chili, la lutte pour le droit à l’avortement est un pilier du féminisme, de nombreuses militantes étant nées dans une société où avorter était un crime. (...)

« Ces dernières années, nous avons eu quelques lois qui ont entrepris de limiter les violences que subissent les femmes, et nous avons vu des hommes protester violemment pour conserver leurs privilèges », analyse Pamela Valenzuela, de la coordination 8M de Santiago. Parmi ces textes : la loi dite « Papito corazón » (pour « papa chéri »), qui oblige les pères à verser des pensions alimentaires, y compris en saisissant leurs biens ou leur épargne. « C’est une loi importante, qui rend compte de la violence économique, décrit Claudia Salinas, avocate, membre de l’observatoire législatif féministe Mira. Sachant que 84 % de ceux qui devaient payer des pensions ne le faisaient pas », laissant les mères seules, en proie à une immense précarité. (...)

Car en 1989, alors que la dictature de Pinochet s’apprêtait à lâcher du lest à la suite du référendum qu’elle pensait gagner, mais qu’elle a finalement perdu, le pouvoir a resserré son étau sur le corps et la vie des femmes. Le gouvernement chilien avait alors supprimé tout droit à l’avortement, qui existait dans le Code de la santé chilien depuis 1931.

Par la suite, sans relâche, les femmes sont sorties dans les rues pour reconquérir leurs droits sexuels et reproductifs, avec un pic de rage au cours de l’hiver 2013, alors qu’une enfant de 11 ans, enceinte après les viols répétés de son beau-père, a été interdite d’avorter. Les politiques semblaient alors s’être entendus pour proférer des commentaires plus abjects les uns que les autres.

Le président de la République Sebastián Piñera (droite) avait déclaré à la télévision que la petite Belen (nom d’emprunt) était « très mature » et qu’elle avait dit « qu’elle aimerait beaucoup son enfant, en dépit du mal que lui avait fait son beau-père ». Dans la capitale chilienne, des milliers de femmes avaient déferlé dans les rues, contourné les barrages policiers et une partie d’entre elles avaient envahi la cathédrale, où l’évêque célébrait la messe en présence de Sebastián Piñera. (...)

« En ce moment, le mouvement social s’intensifie, observe Amanda, lesbienne, féministe, étudiante en histoire et documentariste. Les liens se renouent, la question de la communauté et l’envie d’aller dans les rues nous traversent à nouveau. Tout cela avait été très abîmé pendant la dictature. Et nous avons ensuite été très traumatisés par la violente répression du mouvement social de 2019. » Alors lycéenne, elle a été de toutes les manifestations et garde des souvenirs épouvantés des violences policières et de la présence militaire dans les rues de Valparaiso. (...)

Selon Amnesty International Chili 7 personnes sont mortes à la suite de tirs policiers en 2019, près de 400 traumas oculaires ont été recensés, dont 82 ont entraîné une perte totale de la vue, 194 femmes et 298 hommes ont dénoncé des violences sexuelles (viols, menaces de viol, agressions sexuelles, obligations de se déshabiller).

« Ici, au Chili, nous parlons de violence politico-sexuelle, précise Consuelo, de la coordination 8M de Valparaiso. C’est un concept très présent, hérité de la dictature, qui désigne la violence préméditée à l’égard des femmes par le biais de viols ou d’autres tortures, mais toujours à caractère sexuel. Il y a aussi des intimidations, qui nous renvoient à notre rôle domestique : les policiers nous demandent ce qu’on fait en manif, et nous disent de retourner nous occuper de nos enfants. »

Une menace physique pour les femmes (...)

« Cette menace de l’extrême droite, elle s’inscrit dans le corps des femmes que l’on frappe, tue et fait disparaître sans que personne n’y trouve rien à redire », avance Pamela Valenzuela, membre de la coordination 8M de Santiago. Elle cite l’exemple de Nabila Rifo, tuée en 2016 à Coyhaique dans le sud du Chili, et à qui l’agresseur avait arraché les yeux. « Il a bénéficié d’une libération conditionnelle il y a quelques jours, début octobre, en dépit du fait qu’un rapport de gendarmerie se soit prononcé contre », dénonce la militante.

Elle cite aussi le sort de Julia Chuñil, militante environnementale de la communauté autochtone mapuche, qui a disparu il y a près d’un an. « On a appris il y a quelques jours, grâce à une fuite, que le dossier pénal contient un audio qui parle du fait qu’elle aurait été brûlée, s’insurge Pamela, qui dénonce des manquements des services d’enquête. La disparition de Julia Chuñil a déclenché des mobilisations que l’on n’avait pas vues depuis des années », constate Amanda.

Le portrait de la militante mapuche est partout au Chili, dans les rues des villes et le long des routes de campagne : collé en photo sur les poteaux, peint sur les murs, sur des banderoles, croqué sur des pochoirs.

Le féminisme, une force transversale (...)

Pour tenir le coup, nous allons devoir être solidaires et nouer des alliances, pas seulement entre féministes, mais aussi avec d’autres organisations de résistance. Seules, ce sera trop dur. » (...)

« Les discours d’extrême droite créent une atmosphère de silence, poursuit Pierina Rondanelli Delpinao. Tout le monde se tait, par crainte de dire quelque chose de dangereux, c’est comme si les gens essayaient de disparaître. » Sans reprocher à celleux qui rasent les murs de le faire, nombre de féministes chiliennes ont bien l’intention de continuer à se montrer.