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Mediapart
Les sans-enfants, entre fantasmes et épouvantail politique
#femmes #procreation #extremedroite
Article mis en ligne le 16 novembre 2025
dernière modification le 8 novembre 2025

En émettant l’idée de priver les personnes sans enfants de la prime de Noël, le gouvernement relance subrepticement l’idée d’une hiérarchie entre celles et ceux qui procréent et les autres. Et fait proliférer des idées chères à l’extrême droite.

en croire Jean-Pierre Farandou, le ministre des solidarités, les personnes sans enfants n’ont pas besoin d’offrir de cadeaux à Noël. Dans sa traque effrénée d’économies pour son budget, le gouvernement envisage de réserver la prime de Noël aux foyers avec enfants. Elle est d’ordinaire versée à l’ensemble des bénéficiaires du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de l’allocation équivalent retraite (AER) et aux chômeurs et chômeuses en fin de droits.

Même si la mesure a peu de chances d’être adoptée, elle révèle une défiance et un mépris de plus en plus assumés envers les « sans-enfants », devenu·es des cibles faciles pour des politiques en mal de bouc émissaires. Ainsi Rachida Dati, candidate Les Républicains à l’élection municipale de Paris, a-t-elle regretté le 2 novembre le fait que « les forces vives » auraient « quitté Paris ».

Elle a aussi déploré que la ville ait perdu « plus de 125 000 habitants » et, pire, que « 30 000 enfants [soient] partis ». Pour la ministre de la culture, cette désertion juvénile sonne comme une malédiction qui conduit au pire. La ville ne ferait plus « rêver le monde ». L’horizon qui se dessine est même peu enviable : « Est-ce qu’on se résout à avoir une ville de célibataire en vélo qui travaille à dix minutes de chez lui ? » Comme si les adeptes de la mobilité douce dépourvus de progéniture devenaient les repoussoirs absolus. (...)

Il y a deux ans, Emmanuel Macron – lui-même nullipare – annonçait un « plan contre l’infertilité » au nom du « réarmement démographique ». Le vocabulaire guerrier associé à son projet nataliste avait provoqué un tollé à gauche et chez les associations de lutte pour les droits et l’autonomie des femmes.

« La natalité a toujours été un chiffre qu’on analyse pour jauger la croissance d’un pays, sa postérité, sa puissance, servant des discours tantôt religieux, guerriers ou économiques », souligne Bettina Zourli, autrice et vulgarisatrice spécialisée dans les questions de genre et de maternité. « En 1870 déjà, on disait que la France avait perdu contre la Prusse car on n’avait pas fait assez de bébés ! »

Lucile Quillet, journaliste et autrice des Méritantes (Les liens qui libèrent) y voit aussi une « injonction forte » aux femmes, qui induit que « la valeur des femmes dépend soit de leur couple [soit] de leur capacité à faire des enfants, qui vont ensuite financer la solidarité, la retraite et la croissance ».

Elle rappelle au passage que, pour les femmes, cet investissement maternel est une double peine : « Elles savent que ça va leur coûter cher sur le long terme et renforcer leur dépendance économique au sein du couple, qui est un lieu d’appauvrissement pour les femmes. Elles font le travail domestique, ce qui permet aux hommes de s’enrichir en progressant dans leur carrière par exemple. » Un déséquilibre renforcé par des services publics défaillants, la preuve étant le sous-investissement dans les crèches et la dévalorisation des métiers de la petite enfance.

Le pourcentage de femmes sans enfant est stable depuis cent ans (...)

Ce qui diminue en revanche, c’est le nombre d’enfants par foyer français, induisant une baisse de la natalité et nourrissant au passage les sirènes alarmistes de voix conservatrices qui mélangent tout.

Ont ainsi fleuri en 2024 des ouvrages d’autrices réactionnaires comme Naître ou le néant, de Marianne Durano, ou L’Enfant est l’avenir de l’homme d’Aziliz Le Corre-Durget (Albin Michel), un livre présenté comme « la réponse d’une mère au mouvement “No kids” ».

L’ancienne ministre Sarah El Haïry, nommée haute-commissaire à l’enfance en début d’année, s’est elle aussi choisi comme priorité de lutter « contre la tendance “No kids” ». Au micro de France Inter le 5 juin 2025, elle assure ainsi que cette tendance aurait « explosé à l’étranger » et serait « en train de s’installer en France » – tout en concédant, la seconde d’après, que le phénomène « n’est pas extrêmement fort, c’est vrai ». (...)

Pour la sociologue Charlotte Debest, les femmes sans enfants « représentent une minorité statistique » mais aussi un épouvantail de plus en plus agité dans le débat public, alors même que le pendant masculin de cette figure n’existe pas. « Cela montre aussi à quel point le système globalement se sent menacé par les femmes sans enfants et exerce donc ce rappel à l’ordre. Il dit : “Tu vas finir seule avec ton chat”, comme une menace d’être malheureuse. » Pour la sociologue, cette « menace d’exclusion sociale » signifie que « ne pas avoir d’enfants c’est rater sa vie dans nos sociétés libérales dont le leitmotiv est l’épanouissement à tous les niveaux ».

L’ombre de l’extrême droite (...)

L’extrême droite n’en fait pas mystère, comme Mediapart l’avait déjà montré en 2024, la « natalité française » fait partie de son projet politique pour endiguer l’immigration et la créolisation de la société. « Si nous ne relançons pas notre natalité, notre peuple disparaîtra », affirme par exemple Bénédicte Auzanot, députée Rassemblement national (RN) en 2022.

Plus récemment, à l’été 2025, c’est Pierre-Édouard Stérin, le milliardaire qui met sa fortune au service de l’extrême droite, qui a assumé que son « domaine d’action prioritaire aujourd’hui en France » était d’« avoir plus de bébés de souche européenne ». Pour cela, son plan est clair : faire la chasse au célibat et aux nullipares. (...)

Les injonctions à la maternité délivrées ici et là en France peuvent parfois prêter à sourire par leur outrance. Mais des exemples à l’étranger ont de quoi inquiéter. En Russie, le sujet est pris très sérieux, surtout dans un contexte de déclin démographique. Il y a un an, le Parlement russe a approuvé un projet de loi interdisant la « propagande en faveur d’un mode de vie sans enfant ». Les contrevenant·es s’exposant à des amendes de plusieurs milliers d’euros.