
Des heures de discussions sans lendemain, des votes dans l’hémicycle qui comptent pour rien… Le travail parlementaire n’a jamais semblé aussi vain que lors de cette séquence hautement dysfonctionnelle orchestrée par le pouvoir. Récit.
(...) « Impuissance », « inutilité », « ennui », « perte de sens »… Les mêmes mots reviennent en boucle. Et la fatigue, teintée d’agacement, se lit sur le visage de la députée communiste Elsa Faucillon, en courte pause vapotage entre une séance dans l’hémicycle et une autre en commission des lois : « Ça fait des jours qu’on siège de 9 heures à minuit, que nos collaborateurs se tuent à la tâche… Je ne vais pas me plaindre sur nos conditions de travail, mais quand je pense que cet amoncellement d’heures va être balayé par un 49-3, ça me met en colère. » (...)
Dépossédés, pour la troisième année consécutive, de leur prérogative de voter le budget de l’État, par un premier ministre sans majorité à l’Assemblée et ne faisant pas mystère qu’il userait in fine d’un 49-3 – ou de son ersatz, le 47-1 –, les intéressés ont en outre dû se prêter à un cruel jeu de dupes : débattre pendant des jours et voter sur des centaines d’amendements, tout en sachant pertinemment que rien, ou presque, ne serait conservé à l’issue des travaux.
Le supplice a été orchestré par Michel Barnier, désireux de laisser les discussions s’éterniser pour esquiver les procès en passage en force qui avaient tant abîmé l’image d’Élisabeth Borne. Et tant pis si la manœuvre aura conduit à un voyage en absurdie politique venant alimenter l’antiparlementarisme. (...)
Dans les rangs des parlementaires, l’épisode ubuesque restera en tout cas comme une énième humiliation. (...)
« C’est sûr que l’exécution était plus rapide avec Borne », ironise le président du groupe socialiste, Boris Vallaud, qui a envoyé, jeudi, un courrier au premier ministre lui demandant d’intégrer au texte transmis au Sénat, où l’examen du budget commencera fin novembre, un certain nombre d’amendements du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) dûment votés en séance. « Notre démocratie s’en honorerait », écrit-il au dernier paragraphe. (...)
Les députés, eux, garderont en mémoire ce 6 novembre au soir, où la ministre de la santé et ses troupes ont sciemment laissé les discussions s’enliser sur des sujets mineurs pour éviter les débats sur la désindexation des retraites ou le budget de l’Ondam (qui fixe le montant des dépenses de santé). Jusqu’à ce que la ministre des relations avec le Parlement, Nathalie Delattre, ne fasse irruption un peu avant minuit, pour indiquer que le temps d’examen sur le budget de la Sécurité sociale pour 2025 était… expiré.
Beaucoup se souviendront aussi de ces séances à front renversé : la gauche défendant les mesures du gouvernement Barnier sur la hausse de la fiscalité contre les macronistes et les députés de la Droite Républicaine (DR). D’autres, de ces heures à passer des soirées à siéger « comme des automates » en commission pour rendre un avis sur des lignes budgétaires… déjà entérinées quelques jours plus tôt. (...)
À gauche, une victoire culturelle
Un système manifestement à bout de souffle, même si, à gauche, on prend garde à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. « Ce n’est pas l’Assemblée en soi qui dysfonctionne, c’est l’exécutif qui a organisé tout ça depuis le début, en faisant traîner l’envoi les lettres de cadrage, en retardant l’examen du budget, et en cherchant à bâillonner le Parlement à coup de 49-3 ou de 47-1 », souligne Elsa Faucillon. « L’Assemblée fonctionne très bien quand il y a une majorité et une opposition, mais pas quand le paysage est balkanisé comme aujourd’hui », juge Hervé Saulignac, pour qui il est plus que temps « d’inventer de nouvelles règles ». (...)
En attendant l’improbable assouplissement du corset de la Ve République, le Nouveau Front populaire (NFP) aura profité de la période pour démontrer, si ce n’est son utilité, du moins sa capacité à proposer une alternative à la cure d’austérité gouvernementale. Mission accomplie, à en croire le président de la commission des finances, Éric Coquerel, qui se félicitait en fin de semaine de ce que les députés soient arrivés, sur le papier du moins, à un budget « NFP compatible ». Quand bien même on reconnaît, au sein des troupes socialistes, qu’avec les « 49-3 et les 47-1 déresponsabilisants », la copie modifiée « est partie un peu dans tous les sens ».
Pas de quoi pour autant empêcher les Insoumis, qui n’ont pas lésiné sur les vidéos et autres tweets glorifiant leurs multiples « victoires » dans l’hémicycle – quitte à entretenir l’illusion que leurs amendements seraient mis en œuvre –, de s’enorgueillir franchement de la séquence. (...)
l’examen des textes budgétaires a de nouveau illustré, s’il en était encore besoin, la grande friabilité du si mal nommé « socle commun ». Ni les macronistes ni les députés DR ne se sont d’ailleurs bousculés au portillon pour aller défendre la copie budgétaire gouvernementale, préférant pour la plupart se carapater dans leur circonscription. (...)