
Ce qui s’est joué lors de ce sommet de Davos, c’est le soutien de ces élites mondiales, jusqu’alors adeptes de la mondialisation heureuse, à la contre-révolution illibérale lancée par Donald Trump. Toutes souscrivent à ce capitalisme de prédation et à la violence sociale et politique qu’il implique.
DèsDès les premières heures du sommet économique mondial à Davos, le 20 janvier, les participants ont compris que quelque chose avait changé : leur heure était passée. Alors que toutes les caméras et tous les micros se tournaient habituellement vers eux pour avoir leur avis sur la conduite du monde, pour la première fois, ils se sentaient négligés, presque abandonnés. Le pouvoir était désormais ailleurs. À Washington.
Tandis que les intervenants se succédaient sur scène, l’auditoire leur prêtait une attention distraite : les yeux rivés sur les écrans, il regardait la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Au premier rang trônaient ces milliardaires du numérique qui avaient si souvent animé les débats de Davos dans le passé : Elon Musk (Tesla, X) naturellement, Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Meta), Sundar Pichai (Alphabet-Google), Tim Cook (Apple).
1 300 milliards de dollars à eux cinq, avait calculé la presse. Mais surtout, la présence de ces responsables illustrait une rupture que nombre de participants de Davos n’auraient même pas osé rêver il y a encore quelques mois : ces milliardaires sont désormais au cœur de la machine politique et administrative des États-Unis, première puissance économique mondiale. (...)
Plus que de la sidération face à la vitesse à laquelle Donald Trump a pris le pouvoir, il y avait de la fascination chez les participants à ce forum.
Car ce qui s’est joué lors de ce sommet de Davos, c’est le ralliement de ces élites mondiales, jusqu’alors adeptes de la mondialisation heureuse, à la contre-révolution illibérale, voire fasciste lancée par Donald Trump. Impuissantes à trouver les remèdes pour réparer un capitalisme en crise depuis 2008, toutes sont prêtes désormais à épouser l’impérialisme du président américain, qui leur promet un « âge d’or » du pouvoir de l’argent sans frein et sans limite.
Toutes souscrivent à ce capitalisme de prédation et à la violence sociale qu’il implique, acceptant de renoncer à tous les principes, et d’abord à la démocratie. Elles qui ont soutenu pendant des décennies que le capitalisme en était le meilleur garant. (...)
Alors qu’ils ne cessaient de mettre en avant l’ordre international, peu se sont émus de la mise en pièces du droit international.
À l’exception du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, rappelant que les énergies fossiles sont « un monstre […] qui n’épargnera rien ni personne », du président sud-africain Cyril Ramaphosa – son pays est un des plus exposés aux dérèglements climatiques –, soulignant la nécessite de poursuivre la transition, et de l’ancien vice-président américain Al Gore, il n’y a guère eu de voix pour défendre l’agenda climatique.
L’abandon de tout projet de lutte contre le réchauffement climatique, la sortie des États-Unis de l’accord de Paris et la liquidation en cours de toutes les agences fédérales et instruments administratifs pour protéger l’environnement paraissaient s’inscrire dans une certaine normalité.
En 2017 et 2018, les responsables de Davos avaient pourtant fait de la lutte contre les dérèglements climatiques leur grande cause mondiale.
Tout est passé par-dessus bord (...)
Pour mesurer la rupture en cours, sur ce sujet comme sur les autres, il suffit de noter la façon dont a été reçu Javier Milei. Le président argentin est devenu une « icône ».
L’expérience argentine est désormais considérée comme un modèle à suivre partout dans le monde, les 54 % de la population qui vivent en dessous du seuil de pauvreté n’étant, selon les élites mondiales, qu’un « dommage collatéral » pour rebâtir un capitalisme futur. (...)
Ménager les ennemis, attaquer les alliés (...)
Avant même son investiture, le président américain a déjà demandé que l’Europe importe plus de gaz et de pétrole américains, là encore sous peine de sanctions douanières. Poussant son avantage, il a demandé à Davos aux responsables européens d’importer leurs capitaux et de venir produire aux États-Unis, leur promettant l’absence de contraintes réglementaires et fiscales. Sous peine toujours de sanctions douanières, s’ils ne se conformaient pas à sa volonté. (...)
Dès novembre, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, avait donné le ton dans un entretien au Financial Times. Elle recommandait d’acheter des produits américains, et notamment de l’énergie, afin d’amadouer l’irascible Donald Trump.
Lors de son intervention, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a poursuivi dans le même registre (...)
La vassalisation de l’Europe
La rapide contre-révolution engagée par Donald Trump a en tout cas secoué les esprits. Tous les responsables demandent que l’Europe, engluée dans la stagnation depuis plus de dix ans, embrasse l’agenda dressé par le président américain, renonce à ses normes, à ses réglementations et même à ses principes, pour libérer les « esprits animaux » et permettre au capitalisme de retrouver sa force et son énergie sans contrainte. (...)
Les appels à s’aligner sur l’agenda américain ont déjà commencé. Mark Rutte, nouveau secrétaire général de l’Otan – auparavant premier ministre des Pays-Bas –, a ainsi recommandé que les États européens taillent drastiquement dans leurs dépenses sociales et de retraite pour financer l’effort de défense européen. En supprimant au passage la préférence européenne pour acheter des matériels américains.
Les banques demandent une révision rapide des réglementations européennes pour lever les obstacles qui pénalisent leur rentabilité par rapport à leurs concurrentes américaines. Les industriels, de la biotech au numérique, exigent d’en finir avec une bureaucratie européenne tatillonne qui bride l’innovation et le développement de projets. Tous réclament une remise à plat du plan écologique européen pour favoriser la transition écologique et un abandon de normes et de réglementations « contre-productives ». (...)
Dans la foulée du discours de Donald Trump, le groupe Stellantis (ex-FiatChrysler-PSA), désormais sous le contrôle de la famille Agnelli, très proche du gouvernement Meloni, a annoncé un très lourd programme d’investissements dans ses usines Jeep aux États-Unis. Il prévoit d’y produire des SUV des plus classiques, afin d’éviter les possibles droits de douane qui menacent les importations en provenance du Mexique.
L’impulsion est donnée. La vassalisation de l’Europe est en marche.