
Pendant plusieurs semaines, une équipe d’archéologues a utilisé un radar pour sonder le sous-sol de Tulsa, en Oklahoma. Lundi 16 décembre, ces scientifiques ont annoncé avoir identifié des « anomalies » sur trois sites où se concentraient leurs recherches. Selon Scott Hammerstedt, qui a participé aux fouilles, ces anomalies présentent la structure géophysique de charniers. L’État d’Oklahoma pourrait demander l’ouverture d’une enquête et une excavation dans les prochains mois.
Ces restes humains, si les hypothèses des chercheurs se révélaient correctes, constitueraient la preuve archéologique d’un crime déjà connu, mais dont l’ampleur reste à établir.
Le massacre de Greenwood, un quartier afro-américain de Tulsa, a eu lieu il y a presque 100 ans, le 31 mai et le 1er juin 1921. Il est considéré comme l’épisode de violence raciale le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis.
En quelques heures, trente-cinq pâtés de maisons sont réduits en poussière. Des bandes armées mettent le feu aux habitations et aux magasins de ce qu’on appelle alors « Black Wall Street ». Hommes, femmes, enfants, personnes âgées sont assassinées de sang-froid, en pleine rue. Un bombardement aérien (des boules de térébenthine en feu lâchées par une dizaine d’avions) parachève la tuerie et la destruction.
Selon la commission d’enquête qui a examiné les faits en 2001, le bilan s’élèverait de 100 à 300 morts –une estimation que la découverte de charniers pourrait faire revoir à la hausse.
Pourtant, dans les manuels d’histoire des États-Unis, le massacre de Greenwood n’existe pas : il n’est enseigné ni au collège, ni au lycée. Sur Wikipédia, il est question de « l’émeute raciale de Tulsa » (Tulsa race riot) : tout se passe comme si, dans la sédimentation de la mémoire collective, ces deux jours s’étaient figés sous la forme d’une ténébreuse affaire qui aurait dégénéré et dans laquelle les torts seraient en fait partagés. (...)
La vérité, sur laquelle tou·tes les historien·nes sont d’accord, est la suivante : le Ku Klux Klan, profondément enraciné à Tulsa, a exploité le ressentiment socio-économique de la population blanche, la culture du lynchage et la faiblesse de l’État de droit pour détruire ce qui ne devait pas être dans le Sud de Jim Crow –une communauté afro-américaine prospère, cultivée et à l’activité florissante. Le déploiement de la Garde nationale n’a rien changé à ce scénario déjà écrit.
Olivia J. Hooker, dernière survivante connue âgée de 6 ans à l’époque des faits et décédée le 21 novembre 2018, en donnait la version suivante : « Ma famille ne m’avait jamais parlé des préjugés et de la haine. Je pensais que tout ce qui se trouve dans le préambule de la Constitution s’appliquait à moi. Je n’ai compris mon erreur que pendant cette terrible nuit. »
Dimanche 15 décembre, quelques heures avant que les archéologues de l’Université de Floride rendent publics les résultats de leurs travaux, HBO diffusait le dernier épisode de la première saison de Watchmen.
Adaptée du roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons, la série prend les événements de 1921 comme matrice de son récit. La tuerie, vue à travers les yeux d’un enfant noir, devient la scène primitive d’une épopée qui s’interroge à la fois sur la figure du super-héros, le racisme systémique aux États-Unis et la dialectique de la vengeance et de la loi. (...)
Dans ce texte, monument de repentance et de culpabilisation aux yeux des conservateurs, Coates construit lui aussi une continuité entre hier et aujourd’hui, de l’esclavage aux principes racistes de la politique du logement et à l’accès inégal au crédit immobilier, en passant par la ségrégation et les discriminations qui ont affermi la domination économique et politique blanche.
Dans la culture populaire, la figure du super-héros contribuerait elle aussi à diffuser une forme de soft white power : « À l’exception de quelques personnages et créateurs non-blancs, avance Alan Moore, ces livres et ces héros iconiques sont encore largement les produits rêvés par une race qui entend dominer. » (...)
Série obsédée par les calamités de l’histoire, Watchmen réussit le tour de force de tendre à notre époque le miroir le plus pertinent qui soit. (...)