
C’est dans cette quête de la vérité que le média publiera, à partir de 18 août en cours, une série d’articles sur des opérations de « pacification sanglante » perpétrée par l’armée coloniale française en Algérie, plus précisément dans trois villages de la Vallée de la Soummam le 23 mai 1956. Il s’agit de faire la lumière sur une page occultée par l’histoire française, un énième « Ouradour » en Algérie, qui a ciblé la population d’Aït Soula, en donnant la voix à des survivants et aux descendants de victimes. « La journaliste réalisatrice Safia Kessas et l’historien Fabrice Riceputi partent sur les traces d’un massacre perpétré par l’armée coloniale française en 1956, qui n’a jamais été reconnu par la France. Il porte les secrets et les tabous des violences sexuelles commises pendant la guerre contre des femmes en milieu rural, celles qu’on a oubliées et qui ont payé un lourd tribut à l’indépendance », écrit Mediapart pour annoncer la prochaine publication de l’enquête effectuée par Safia Kessas et Fabrice Riceputi.
Au départ cette enquête, une quête familiale sur les cicatrices laissées par cet événement sanglant de 1956. « Le point de départ est une enquête familiale sur la notion de brouillage mémorielle, telle que définie par Karima Lazali. En creusant les tabous familiaux, les cicatrices à vif de ce massacre perpétré en 1956 revenaient dans beaucoup de récits. J’ai alors enquêté sur ce pan de l’histoire qui questionne et hante encore la population locale », livre à El Watan Safia Kessas. Il s’agissait pour elle de « restituer une mémoire à vif, structurer la parole, croiser les récits et retrouver aussi une parole assumée en France du côté des appelés, loin des discours officiels français ».
Il était important, nous dit-elle, « de travailler avec un historien aussi pointu que Fabrice Riceputi pour fixer les cadres et arrière cadre historiques dans le recueil de la parole des témoins sur place ». L’historien souligne d’ailleurs sur son compte Facebook avoir « jusqu’ici travaillé sur les violences coloniales en milieu urbain, à Alger », mais l’enquête en question a été sa « première confrontation directe avec les témoins de la guerre coloniale en milieu rural, qui fut à la fois plus brutale encore et beaucoup moins visible depuis la France ». (...)
Le travail d’investigation sur le massacre d’Aït Soula lève le voile sur un sujet resté longtemps tabou et qui concerne les violences sexuelles dont ont été victimes les femmes algériennes durant la Guerre de la Libération. L’armée coloniale a pris pour cible les femmes restées dans les villages et dont les époux, pères et frères ont rejoint le maquis. Les récits connus jusqu’alors se contentaient d’évoquer les moyens de protection utilisées par les femmes, jeunes et petites filles pour se protéger des agresseurs, notamment celui de s’enduire d’excréments de bovins pour faire fuir leurs bourreaux. Mais quid de celles qui n’ont pu échapper à cette infâme torture ? (...)
Le souvenir reste vif mais les traumatismes sont profonds : pour beaucoup, le récit est encore associé à la honte ou à la peur, notamment le jugement social. Ce sont parfois les générations suivantes qui poussent les plus anciens et les plus anciennes surtout à évoquer ce qui s’est passé. »
Une page de l’histoire occultée par le récit français
Cette page de l’histoire est restée longtemps méconnue ou plutôt occultée, notamment dans les récits français. Il est d’ailleurs grand temps pour la France de voir en face l’inhumanité et la sauvagerie de la colonisation en Algérie. (...)
peu d’archives, presque pas de plaintes, et un silence imposé aux victimes par la honte et la peur, ce qui a facilité leur effacement », explique notre interlocutrice, en évoquant également la banalisation de l’acte d’agression sexuelle. « Certains appelés relatent ces violences sexuelles comme si elles étaient banales – vous le lirez dans l’enquête –, voire sans importance, sous prétexte qu’elles ne ’’concernaient que des femmes’’.
Ce sexisme, qui considère la violence contre les femmes comme secondaire, a puissamment contribué à rendre ces crimes invisibles dans la mémoire collective », rapporte Safia Kessas. L’enquête que Mediapart rendra publique à partir du 18 août permettra non seulement de livrer à l’opinion des deux rives des témoignages de grande importance sur le massacre de 1956 et la sauvagerie de l’armée coloniale, mais donnera également une voix à un traumatisme passé sous silence et que des femmes algériennes ont été seules à en porter le fardeau. Nadjia Bouaricha