
Le soleil brille, le crépuscule est de saison. Athènes se transforme : pouvoirs, territoires, propriétés, règles d’urbanisme, et ainsi usages. Tout change progressivement pour être assujetti à un destin à un plus haut degré d’hétéronomie quasi-coloniale. La capitale de l’ex-classe moyenne grecque... “s’ouvre” enfin à sa métropolisation, celle très exactement que le globalisme de la Troïka et des marionnettes grecques auront pu imposer, rien qu’en une petite décennie d’adaptation aux normes, sous la violence de la dite “crise”. Athènes, nouvelle citadelle de la mondialisation, une globalisation “heureuse” profitant d’abord à ceux qui arrivent, et il faut dire qu’ils sont nombreux. Siècle nouveau, vielles recettes.
Pour à peine paraphraser le géographe Christophe Guilluy lorsqu’il décrit les réalités françaises actuelles, la Grèce est forcée de devenir une société globalisée comme les autres, inégalitaire et si possible même multiculturelle. D’un modèle largement égalitaire, acquis depuis de l’avènement de l’étendue classe moyenne à la fin de la dictature des Colonels en 1974, nous basculerons progressivement en une société socialement inégalitaire et sous tensions identitaires. Ce basculement, désastreux pour les classes populaires, en somme les deux tiers de l’ancienne classe moyenne désormais paupérisée, provoque déjà un chaos culturel et social sans précédent, (voir Christophe Guilluy, “Le crépuscule de la France d’en haut”, Flammarion 2017).
“La mondialisation a en effet généré l’existence de nouvelles citadelles, les métropoles, ou se concentre une nouvelle bourgeoisie qui capte l’essentiel des bienfaits du modèle mondialisé. Au nom de la société ouverte, elle accompagne et soutient ainsi les choix économiques et sociétaux de la classe dominante, dont la conséquence est de rejeter inéluctablement ceux dont le système économique n’a plus besoin dans les périphéries territoriales et culturelles”, écrit Christophe Guilluy.
“Dans la réalité, l’entre-soi et le réseautage n’ont jamais été aussi pratiqués. Cette aimable bourgeoisie participe ainsi directement ou indirectement au plus important processus de relégation sociale et culturelle des classes populaires, en excluant par ses choix économiques et sociaux les catégories modestes des territoires qui comptent, ceux qui créent l’emploi et les richesses. La prédation qu’elles opèrent sur l’ensemble du parc de logements privés des grandes métropoles, hier destiné aux classes populaires, n’a pas d’équivalent dans l’histoire. Mieux, il se réalise à bas bruit, sans qu’à aucun moment l’emprise de dépossession ne soit questionnée, encore moins remise en question. Il faut dire que la concentration des catégories supérieures sur les territoires qui créent l’essentiel des richesses et de l’emploi s’accompagne aussi d’une emprise de ces catégories sur le débat public et son expression.” (...)
Votre... pauvre blog avait d’ailleurs considéré dès ses débuts que la dite crise grecque n’était qu’une forme de guerre alors déclarée contre la société et contre le peuple grec, un génocide parfois lent et quelquefois accéléré, génocide entre autres économique et autant démographique. Et ce n’est que par le biais de cette situation exceptionnelle, devenue ainsi la... norme, qu’une telle prédation ait pu devenir faisable en si peu de temps. Tout en neutralisant il faut dire, les réactions populaires... essentiellement grâce à l’aimable collaboration de la gauche, SYRIZA en tête. (...)
La Grèce, pays de la petite propriété, surtout immobilière devait alors être brisé et ceci d’ailleurs hâtivement. La surmultiplication de la fiscalité, elle a augmenté d’environ 400% depuis 2010, ainsi que la paupérisation rapide infligée faisant passer la classe moyenne de 70% à moins de 25% de la population, de même que l’arrivée massive de capitaux prédateurs et globalistes, ont fini par s’attaquer à l’épine dorsale du système économique, culturel, voire familial des Grecs, une prédation pour laquelle les dites “élites politiques et économiques grecques” il faut dire s’en félicitent.
Il y a un avant et un après le règne des Memoranda, comme lors d’une entrée en guerre ou d’une occupation. Il souffle désormais un vent mauvais, le poison ambiant n’épargne personne, nous assistons à une mise à mort de nos petites et grandes habitudes : cette mutation collective rapide est suspendue à la perte de nos repères. Désormais les individus plongent, y compris dans les quartiers chics. Le programme avait été précipité, car faire d’Athènes une nouvelle citadelle des globalistes n’aurait pas pu se réaliser sans venir à bout de la résistance culturelle et économique de la vaillante classe moyenne grecque, pour laquelle l’État grec même était alors à ses yeux un ennemi disons structurel. Pourtant, même après une décennie... de guerre, cette petite propriété et autant économie à la grecque résistent alors toujours encore dans un sens. (...)
Pendant que les Grecs s’aventurent de plus en plus dans l’univers des... petits boulots, Mr. Chang, un médecin venu de Chine, vient d’acheter ces derniers mois, et rien qu’à Athènes, plus de 700 appartements, presse grecque, septembre 2018.
Décidément, la capitale de l’ex-classe moyenne grecque... “s’ouvre” enfin à sa métropolisation. Pendant ce temps, en 2018, 150.000 héritages (biens immobiliers) ont été refusés par les héritiers en Grèce, soit une hausse de plus de 400% depuis 2013, presse grecque du 2 avril 2019. Ces biens iront ainsi à l’État, lequel les... offrira aux fonds rapaces internationaux car de toute manière et potentiellement, tous les biens de l’État grec appartiennent aux dits créanciers et pour une durée de 99 ans d’après le mémorandum signé par Tsípras en 2015. (...)
“Les gens voient toujours le court terme. Pour le moment cela va encore, ils ‘s’accrochent aux wagons’. Mais il y a une forme de déni sur ce qu’ils vont devenir. La disparition de la classe moyenne a commencé par les ouvriers, les paysans, les employés, les professions intermédiaires et demain, ce sera une fraction des catégories supérieures qui sera emportée. On voit déjà que les jeunes diplômés du supérieur n’arrivent plus à s’intégrer. Le processus est enclenché et il va détruire aussi des catégories qui pensent encore être protégées”, Atlantico, octobre 2018 (...)
c’est essentiellement grâce au presque tiers du PIB non-déclaré que le pays réel tient encore debout, en dépit du discours pseudo-moralisateurs des maîtres-fous qui gouvernent quant aux obligations fiscales, sans oublier les ravages désormais historiques causés par la zone euro. Signe encore des temps, sur une affiche athénienne peut-on lire en ce moment : “Tsípras brade le pays au bénéfice de l’euro”. (...)
Pour Christophe Guilluy, “les citadelles médiévales sont de retour. Dans les métropoles mondialisées, une bourgeoisie contemporaine, ‘new school’, a pris le pouvoir, sans haine ni violence. La captation des richesses, des emplois, du pouvoir politique et culturel s’est réalisée en douceur. On présente souvent la fracture française comme un affrontement entre les ‘élites’ et le ‘peuple’. Pourtant, le système ne repose pas seulement sur les ‘élites’, mais sur une fraction très importante de la population, une nouvelle bourgeoisie, qui réside notamment dans les métropoles et qui a cautionné tous les choix économiques de la classe dominante depuis trente ans.”
“Contrairement à la bourgeoisie d’hier, les nouvelles classes dominantes et supérieures ont compris que la domination économique et culturelle serait d’autant plus efficace qu’elle s’exercerait au nom du bien et de l’ouverture. De Bordeaux à Paris en passant par Lyon, elle vote à gauche ou à droite pour des candidats du modèle mondialisé et vit majoritairement dans l’une des quinze premières métropoles de France. Déguisés en hipsters, les nouveaux Rougon-Macquart peuvent se livrer à la ‘curée’ en imposant à la société française un modèle économique et territorial d’une rare violence, un modèle anglo-saxon, celui de la mondialisation. Ce basculement radical s’est réalisé sans contestation sociale majeure grâce à la mise en scène d’une opposition factice entre les partisans de la ‘société ouverte’ et ceux du ‘repli’.”
“Car les territoires métropolitains ne sont pas seulement le lieu de la captation du patrimoine, des richesses et de l’emploi, ils sont aussi celui de la fabrication de la pensée unique, ce discours du système médiatique et politique qui permet aux classes dominantes de dissimuler le réel, celui d’une société inégalitaire et sous tensions, derrière la fable de la société ouverte. (...)
La citadelle médiévale d’Athènes pourtant elle résiste. En Grèce, la culture populaire d’en bas, partagée aussi par une bonne partie de l’ancienne classe moyenne n’est pas morte. Regroupée en partie derrière son Église Orthodoxe, la Grèce périphérique insiste et alors elle résiste. Chaque soir lors des messes en cette période de Carême, les Églises se remplissent certes très timidement, cela-dit, elles ne sont plus vides en semaine comme il y a à peine quelques années. Devant certaines habitations, à part le drapeau national, on arbore parfois aussi celui de l’Église et de l’Orthodoxie, histoire de se démarquer justement des hipsters... des territoires occupés.
Le soleil brille, le crépuscule est de saison, Athènes se transforme. Les bouquinistes s’amusent peut-être en proposant ces revues exhumées d’un certain passé hellénique, pour le meilleur comme pour le pire. Entre la famille royale dans les années 1960 et une couverture consacrée aux premières élections libres de 1974 quelques mois seulement après la fin de la dictature des Colonels, il y a le choix. (...)
Le soleil brille, l’espoir est disons de mise, comme dans ce rappel toujours bienvenu depuis nos amis Italies, mais vu à Athènes : “Mangia bene, Vivi semplicemente, Ridi spesso” (“Bien manger, Vivre simplement, Rire souvent”). (...)