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Mediapart
Malgré ses engagements, l’Europe exporte toujours plus de pesticides interdits
#UE #pesticides #exportations #sante
Article mis en ligne le 26 septembre 2025
dernière modification le 24 septembre 2025

Selon une enquête des ONG Public Eye et Unearthed, la firme BASF est celle qui exporte le plus de produits phytosanitaires devenus illégaux en Europe. Parmi ceux-ci, on retrouve l’insecticide Fastac et sa substance active l’alpha-cyperméthrine, dont Mediapart avait révélé la présence dans une usine française.

Ce sont des produits dont l’utilisation est illégale dans l’agriculture européenne, mais dont les géants chimiques du continent tirent un juteux business : ces dernières années, la production et l’exportation de ces pesticides interdits n’ont cessé d’augmenter.

D’après une enquête des ONG Public Eye et Unearthed publiée mardi 23 septembre, et dont Mediapart a pu consulter les données, le volume de produits phytosanitaires retirés du marché européen mais enregistrés pour être exportés dans le reste du monde est passé de 82 000 tonnes en 2018 à 122 000 tonnes en 2024. Soit une hausse de 50 %, qui s’accentue encore si l’on tient compte du Brexit : en retirant le Royaume-Uni des premières données disponibles, en 2018, on arrive à une hausse de 150 % en six ans. (...)

En tête de ce commerce : la firme allemande BASF, qui a fait approuver par les autorités européennes l’exportation, au total, de 34 000 tonnes de produits en 2024, parmi lesquels le Fastac et l’alpha-cyperméthrine – un insecticide et sa substance active, tous deux interdits dans l’Union européenne (UE), et dont Mediapart avait révélé la présence dans l’usine BASF de Genay (Rhône). « Plusieurs dizaines de tonnes » de produits contenant de l’alpha-cyperméthrine, dont 10 tonnes de Fastac, avaient ensuite été constatées par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) dans son rapport d’inspection. (...)

« La société BASF localisée aux Pays-Bas agit en tant qu’exportateur de tous ses produits à usages agricoles ou biocides fabriqués en Europe, quel que soit leur pays de fabrication », indique la direction de la société.

Celle-ci dément toutefois que l’alpha-cyperméthrine trouvée à l’usine de Genay ait été fabriquée sur place. Mais elle y compose différents produits à base de cette substance (...)

Depuis la France, ce sont également près de 1 000 tonnes de fipronil qui ont été notifiées à l’exportation par BASF en 2024 – un insecticide puissant qui ne peut plus être utilisé dans l’agriculture depuis 2004. « Le fipronil est un insecticide dont les effets sont très proches chimiquement des néonicotinoïdes, avec des effets systémiques, explique le chercheur du CNRS Vincent Bretagnolle, qui étudie les impacts des produits phytosanitaires sur la biodiversité. (...)

Les données collectées par Public Eye et Unearthed, obtenues au moyen des demandes d’actes administratifs à l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) et aux autorités nationales des États membres, révèlent de vastes mouvements totalement contradictoires avec les promesses de l’UE de cesser d’exporter des substances retirées de son propre marché en raison de leur toxicité. (...)

Ces « phytos » vont principalement vers les États-Unis, le Brésil, l’Ukraine, le Canada, le Japon, la Russie ou l’Australie. Mais aussi, dans des quantités moins importantes, vers le Maroc, la Malaisie, la Chine, l’Argentine, le Mexique, les Philippines, le Vietnam, l’Afrique du Sud… Au total, 93 pays sont concernés. (...)

Tous ces produits présentent des risques élevés pour la santé humaine, tels que des lésions cérébrales chez les enfants, des troubles de la reproduction qui nuisent à la fertilité ou au fœtus et des perturbations endocriniennes. Sans compter les effets néfastes majeurs sur la biodiversité, insectes et pollinisateurs en tête. (...)

À ce jour, aucune proposition de modification de la législation européenne n’a été faite et le commerce des pesticides interdits a continué de se développer. Cette croissance s’explique sans doute en grande partie par le fait que le nombre d’interdictions dans l’UE a augmenté à mesure que les preuves de dangerosité sont apparues, sans que ces interdictions à l’intérieur des frontières européennes soient suivies d’effets pour l’extérieur. (...)

Reste cependant encore une combine possible, du moins dans la législation française : les entreprises peuvent, formellement, notifier aux autorités européennes une exportation au départ d’un État membre par le biais d’une filiale qui y est installée, alors que le produit a été conçu ailleurs et n’a même pas transité par le pays en question. La fabrication du pesticide devient alors invisible pour les autorités nationales concernées.

« Toutes ces lacunes montrent qu’il est très difficile de contrôler ces exportations et qu’il est toujours possible de contourner la législation. La seule solution est d’avoir une interdiction européenne », dit à Mediapart Laurent Gaberell, coauteur de l’enquête à Public Eye. Sans quoi la contamination de pays tiers au moyen de substances interdites sur nos sols a encore de beaux jours devant elle.