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Mediapart
Bâtiments vétustes, déficits abyssaux : en Bretagne, l’hôpital public s’effondre
#hopitalpublic #sante
Article mis en ligne le 27 septembre 2025
dernière modification le 25 septembre 2025

Essorés par la tarification à l’activité, les hôpitaux publics bretons n’ont aucune marge de manœuvre pour investir. Pourtant, les bâtiments se dégradent d’année en année et les promesses d’aides à la rénovation se font attendre, affaiblissant toujours plus l’accès aux soins pour tous.

En vingt ans, le déficit des hôpitaux publics n’a jamais été aussi élevé, atteignant 2,5 % de leurs recettes en 2024. Loin d’être épargné par l’exécutif dans le cadre du budget 2026, l’hôpital est sommé d’être toujours plus performant, avec encore moins de moyens. À ce jour, à l’échelle de la Bretagne, pas moins de huit centres hospitaliers sont en attente de restructuration, pour un montant total d’investissement estimé à 1,1 milliard d’euros.

Au compte-goutte, l’agence régionale de santé annonce des enveloppes financières, comme à Guingamp (Côtes-d’Armor), le 27 juin 2025, avec la validation d’un plan de financement à 101 millions d’euros, dont la moitié doit être empruntée par l’hôpital, l’autre moitié étant financée par l’agence régionale de santé (ARS) et le département. Sur le papier, le projet de rénovation est financé. Mais, en pratique, comment des centres hospitaliers en déficit chronique vont-ils pouvoir emprunter et investir ? Pourtant, la situation devient urgente.

Au CHU de Rennes, le bâtiment accueillant une partie des activités de chirurgie est aujourd’hui « sous avis défavorable en matière de sécurité incendie ». À Redon (Ille-et-Vilaine), « côté ouest, on doit mettre des draps aux fenêtres les jours de vent, sinon il passe à travers », témoigne une soignante de l’hôpital. (...)

Et ici, comme au CHU de Rennes, une partie des bâtiments ne devrait plus accueillir de public au regard de la sécurité incendie. Depuis six ans, les « locaux sommeil », hébergeant les patient·es hospitalisé·es, devraient être fermés au public.

Pour garder le bâtiment ouvert, le centre hospitalier paie une équipe de sept personnes dédiée à la sécurité, sur place vingt-quatre heures sur vingt-quatre, coût : 800 000 euros par an, selon nos informations.

Plus au cœur de la Bretagne, au centre hospitalier de Brocéliande, une médecin rappelait lors d’un conseil de surveillance, en octobre 2024, que « l’état des bâtiments ne permettra pas d’attendre plusieurs annéesEt ici, comme au CHU de Rennes, une partie des bâtiments ne devrait plus accueillir de public au regard de la sécurité incendie. Depuis six ans, les « locaux sommeil », hébergeant les patient·es hospitalisé·es, devraient être fermés au public.

Pour garder le bâtiment ouvert, le centre hospitalier paie une équipe de sept personnes dédiée à la sécurité, sur place vingt-quatre heures sur vingt-quatre, coût : 800 000 euros par an, selon nos informations.

Plus au cœur de la Bretagne, au centre hospitalier de Brocéliande, une médecin rappelait lors d’un conseil de surveillance, en octobre 2024, que « l’état des bâtiments ne permettra pas d’attendre plusieurs années (...)

Des centres hospitaliers en concurrence pour récupérer des crédits

Sur le constat, tout le monde est d’accord : les centres hospitaliers bretons doivent être rénovés, parfois totalement reconstruits. Pour la plupart, les projets sont dans les cartons depuis plus de dix ans, mais Redon et Guingamp sont, à ce jour, les seuls dont le financement a été validé officiellement, en 2025.

À Redon, l’ARS a promis une enveloppe de 30 millions d’euros pour financer la réalisation d’un nouveau bâtiment d’hospitalisation, d’ici à 2028. « Les deuxième et troisième phases [restructuration du plateau technique et des locaux logistiques – ndlr] dépendent de la capacité d’autofinancement, souligne Mathilde Hignet, députée insoumise d’Ille-et-Vilaine, membre du conseil de surveillance. Mais au regard de la situation financière, on peut douter de la capacité du centre hospitalier à financer ces phases. » Comment emprunter quand le déficit s’élève à 4 millions d’euros à fin 2024 et ne cesse de se creuser ? Il était de 3,5 millions d’euros en 2023.

Et le financement accordé à Redon ou à Guingamp par l’ARS fait craindre aux autres centres hospitaliers de n’avoir plus que des miettes. (...)

Les millions promis aux uns sont autant d’argent en moins pour les autres, d’autant plus dans un contexte budgétaire contraint. La santé devrait en effet contribuer à hauteur de 5,5 milliards d’euros aux économies prévues dans le budget 2026.

Au centre hospitalier de Brocéliande, la procédure patine depuis cinq ans, à cause de difficultés pour trouver un terrain disponible pour accueillir le nouvel hôpital, et le président du conseil de surveillance de l’hôpital, maire de Montfort-sur-Meu, craint pour le maintien de ses subventions (...)

Pour rénover, il faut augmenter les recettes… (...)

… mais pour augmenter les recettes, il faut rénover (...)

À Guingamp, le projet de reconstruction de l’établissement vient d’être validé. 56 millions d’euros restent toutefois à la charge de l’hôpital, dont le déficit est croissant. Olivier Quéré, qui représente la communauté médicale de l’hôpital, est confiant, malgré un déficit important. (...)

en août 2022, un rapport mandaté par l’ARS avait préconisé, notamment, que l’activité chirurgicale de l’hôpital devienne exclusivement ambulatoire, et que la maternité saute. Le tout pour envisager une activité qui augmente à Guingamp, compensant une situation financière « très dégradée, malgré la mise en œuvre de plans de retour à l’équilibre successifs ».

L’hôpital « mère » du groupement, celui de Saint-Brieuc, avait ensuite repris ces deux orientations dans son projet médico-soignant, une feuille de route par laquelle sont planifiées les activités médicales sur cinq ans, de 2023 à 2028, et pour tous les sites de son groupement hospitalier.

Le tout-ambulatoire, ça n’a pas de sens pour la population âgée de notre territoire.

Olivier Quéré, représentant de la communauté médicale de Guingamp

L’arrêt des accouchements n’a pas été remis en cause par les équipes de Guingamp. La maternité n’en réalise déjà plus depuis avril 2023 et elle sera remplacée, explique Olivier Quéré, « par un centre de gynécologie et de suivi de grossesse ». Par contre, le passage à une chirurgie programmée, c’est-à-dire pour des opérations effectuées seulement en journée, n’a pas été au goût de la direction de Guingamp et des équipes médicales. Elles refusent de signer le document : « On doit garder notre chirurgie complète, la chirurgie tout ambulatoire, ça n’a pas de sens pour la population âgée de notre territoire », explique Olivier Quéré. L’ARS avait finalement émis une « réserve » sur le projet médico-soignant, cultivant un certain flou. (...)

les entrées d’argent dépendent du volume d’activité d’un hôpital. Une logique délétère, tant l’hôpital a des injonctions contradictoires. L’activité ambulatoire est justement un bon exemple.

Depuis dix ans, à Saint-Brieuc comme ailleurs, le nombre de lits a diminué au profit de places, destinées à des patient·es hospitalisé·es dans la journée, en médecine ou chirurgie. Ce virage ambulatoire a été demandé à l’ensemble des hôpitaux, par les pouvoirs publics, avec des objectifs précis à tenir : 70 % de la chirurgie et 55 % de la médecine doivent se passer en ambulatoire. Mais cette injonction entre en collision avec une épée de Damoclès : augmenter les recettes. (...)

Les petits hôpitaux dans un goulot d’étranglement

L’établissement de Saint-Brieuc vient tout juste de remonter la pente en retrouvant, début 2025, son niveau d’activité d’avant-covid. « Je ne suis pas inquiète, on va se rétablir. C’est infiniment plus problématique pour les petits établissements », reconnaît sa directrice Ariane Bénard, en référence au site de Lannion. (...)

du côté de Lannion, l’enjeu est vif de récupérer des parts de marché face au privé, puisque l’hôpital accueille seulement 15 % des patient·es de son bassin de vie pour un séjour chirurgical, quand la polyclinique du Trégor en reçoit 40 %. Et comble de la situation, le chirurgien digestif de Lannion doit opérer ses patient·es atteint·es de cancer… à la polyclinique du Trégor, puisque c’est elle qui a une autorisation de l’ARS. La clinique rembourse une partie du temps médical au service public, mais la valorisation du séjour est empochée par la première. Dans ce match entre public et privé, l’ARS arbitre ainsi pour le second.

Quoi qu’il en soit, depuis l’abandon du rapprochement public-privé, « il n’y a pas de plan B à date pour Lannion », poursuit Ariane Bénard. Les urgences de Lannion sont en régulation nocturne permanente depuis avril 2024. Les patient·es sont donc hospitalisé·es et opéré·es ailleurs, provoquant une perte de recettes financières. En 2019, 68 % des hospitalisations provenaient des urgences. Ce n’est plus que 11 % en 2023. C’est un cercle vicieux. (...)

in fine, les patient·es sont orienté·es vers le privé par leur médecin traitant pour être pris en charge rapidement, comme nous l’ont confié des chirurgiens de Lannion et de Guingamp. « Oui, je suis inquiète, admet Ariane Bénard. On subit la situation parce que le modèle de financement actuel ne permet pas à des établissements de cette taille, qui ont des urgences, un bloc opératoire et des soins critiques qui fonctionnent H24, de s’en sortir budgétairement. »