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Une manifestante mutilée à la main par une grenade à Rouen
#retraites #mobilisations #repression #armes
Article mis en ligne le 16 avril 2023
dernière modification le 15 avril 2023

En fin de manifestation – lors de la 9e journée de mobilisation contre la réforme des retraites – le jeudi 23 mars, Doris G. cherche à « récupérer les étudiants et collègues » au milieu des lacrymogènes pour les protéger, tout en quittant les lieux. « Je ne voyais plus rien, mais je me suis quand même retournée pour voir si tout le monde était à l’abri. »

C’est à cet instant qu’elle sent un souffle accompagné d’un grand flash. Une grenade vient d’exploser. Doris est gravement blessée. Pour elle, la scène se passe au ralenti. Elle regarde sa main qui lui fait atrocement mal et réalise l’étendue de sa blessure. « J’ai vu mon pouce à moitié arraché. J’ai crié. »

Que s’est-il passé ce jeudi à Rouen pour en arriver là ? Qu’est-ce qui a pu causer une telle mutilation ? Pour comprendre le déroulement des faits, Politis a consulté des dizaines de photos et vidéos de témoins et de journalistes.

Lors du parcours, des tensions ont émergé quand un groupe de manifestant tente de remonter vers le centre-ville par la rue Jeanne d’Arc.
Pluie de lacrymos

Projectiles contre grenades lacrymogènes, le face-à-face oppose une trentaine de manifestants à un cordon de policier. Une barricade de quelques planches est incendiée et les lacrymogènes continuent de pleuvoir alors que « 1 000 manifestants non-violents étaient présents », d’après plusieurs témoins.

Quelque 30 minutes après le pic de tension, et alors qu’une dizaine d’individus masqués reste derrière des barrières, les forces de l’ordre décident d’avancer pour évacuer les manifestants encore présents. (...)

« On était à 200 mètres des affrontements et d’un coup, il y a eu des salves de grenades lacrymogènes, certaines explosaient », raconte un témoin. (...)

D’autres grenades sont en effet utilisées. En 30 secondes, au moins trois importantes détonations sont audibles. On les retrouve, visibles, sur une vidéo postée sur TikTok. La première explose non loin d’un panneau publicitaire, vers la route et une seconde un peu plus loin. C’est à côté de ce panneau publicitaire que Doris est photographiée au sol, la main mutilée. Quelques secondes après les détonations, des manifestants hurlent aux forces de l’ordre d’arrêter en leur indiquant la présence d’une blessée.

Au sol, aucun éclat n’est visible hormis celui d’une grenade lacrymogène à main qui ne peut provoquer ce genre de mutilation. Le bruit assourdissant de la détonation laisse peu de place au doute sur la grenade utilisée.

« Au secours, je n’ai plus de doigt ! » (...)

Dans un état de « semi-conscience » et de choc, elle pense mourir. « J’ai cru que je disparaissais. J’ai pensé à mes enfants. » Un syndicaliste CFDT, présent au moment de l’explosion, a, lui, quasiment perdu l’audition droite. « J’estime avoir perdu 80 % de l’ouïe de ce côté et 20 % à gauche », raconte à Politis, l’homme qui travaille dans le milieu du son.

De suite, Doris est prise en charge par un pompier qui participait à la manifestation et par un médecin généraliste. (...)

Ce n’est pas la première fois que ce type d’éclat est retrouvé. Beaucoup ont été observés au sol et dans des plaies dans de nombreuses manifestations, dont le 28 janvier 2020 à Paris lors d’une manifestation de pompier où les GM2L avaient été massivement utilisées. (...)

Un témoin, lors de son audition IGPN, raconte qu’un policier est entré dans le bureau en affirmant que Doris G. avait « ramassé la grenade avec sa main ». L’absence de brûlures et de traces de poudre sur les vêtements et la main de Doris, permettent d’éliminer le fait qu’elle aurait volontairement attrapé la grenade.
… comme celles massivement utilisées à Sainte-Soline (...)

Au moins deux personnes ont déjà vu leurs mains complètement mutilées par ce type de grenade : le 5 décembre 2020 à Paris et le 19 juin 2021 à Redon. La GM2L a aussi été massivement utilisée à Saint-Soline le samedi 25 mars 2023, lors des violences commises contre les opposants aux mégabassines. Contactée sur l’utilisation de telle grenade, la préfecture de Seine-Maritime n’a pas répondu, « dans la mesure où une enquête judiciaire a été ouverte ». (...)

Le jour même, le parquet de Rouen a en effet ouvert une enquête, confiée à la Sûreté départementale de Seine-Maritime. Suite aux différents éléments, les investigations ont été confiées à l’IGPN, la police des polices, le lundi 27 mars. Le lendemain, sur les conseils de son avocate, Julia Massardier, Doris dépose plainte « parce qu’il faut que ça s’arrête ». « On sait que ça va prendre beaucoup de temps, mais Doris fait surtout ça pour dénoncer l’utilisation de ce genre d’armes », explique l’avocate. (...)