
Mehdi Medjahed est arrivé en France il y a treize ans. Interpellé lors d’un contrôle policier qui a dégénéré, cet agent de sécurité incendie a fait l’objet avant même la fin de sa garde à vue d’une obligation préfectorale à quitter le territoire.
Il est l’un de ces salariés de « première ligne »
dont parle le président de la République. L’un de
ceux qui continuent de travailler malgré la pandémie.
Mehdi Medjahed n’est pas soignant, ni pompier ou
ambulancier : il est agent de sécurité incendie, mais il
se trouve aussi en situation irrégulière en France.
Vendredi 24 avril, il a été arrêté alors qu’il allait
acheter à manger avant de rejoindre son travail. Il
affirme avoir subi des violences policières, avant
d’être placé en rétention dans l’un de ces centres où,
selon le discours officiel, ne sont actuellement placés que des sortants de prison...
Il était environ 17 heures, quand Mehdi Medjahed (36
ans) arrive au métro Barbès-Rochechouart, à Paris.
Il vient de Belleville, travaille porte de Saint-Cloud,
mais pour rompre le jeûne le soir, il fait ses courses
dans ce quartier de Barbès aux nombreux commerces
tenus par des Algériens originaires, comme lui,
d’Annaba, dans le sud-est de l’Algérie. En bas des
marches, près de la sortie du métro, trois policiers se
trouvent « en mission de sécurisation du ramadan et
de contrôle des attestations de déplacement au vu de
l’état d’urgence sanitaire », selon leurs rapports après
l’interpellation.
Un brigadier lui demande papiers et justificatifs
de déplacement. Il montre l’attestation fournie par
son employeur, l’application depuis laquelle il
remplit d’ordinaire son attestation de déplacement
dérogatoire. Selon son récit, il explique qu’il est sans
papiers mais se rend au travail. Le policier aurait
répondu : « Comment tu pourrais travailler puisque tu n’as pas de papiers ? »
Mehdi Medjahed est arrivé en France il y a treize ans,
il a eu un titre de séjour avec la mention « étranger
malade », puis au moment du renouvellement il a
voulu obtenir un titre avec mention « salarié »,
puisqu’il travaillait depuis dans la sécurité. Il a produit
un contrat de travail, mais on lui a demandé de prouver
qu’il avait suivi une formation ad hoc, il a envoyé
l’attestation de formation trop tard, sa demande a été
rejetée définitivement en février dernier. Depuis, il est en situation irrégulière.
Le ton serait monté et Mehdi Medjahed reconnaît
avoir essayé de reprendre ses papiers des mains du
fonctionnaire, en disant, selon lui : « Tu parles mal, je
vais montrer mes papiers à tes collègues. » Puis, alors
qu’il tournait la tête vers ces derniers, le policier lui
aurait porté un coup avant de le faire tomber au sol, où
ses collègues l’ont aidé à le menotter. « L’un d’eux se
comportait mieux, dit Mehdi. Avec son regard, il me
montrait qu’il n’était pas accord avec ce que faisaient
ses collègues. »
Les policiers n’ont pas la même version. (...)
Une déclaration qui ne colle pas avec les marques, cinq jours plus tard, sur le visage de l’interpellé.
Placé en garde à vue au commissariat du XVIII e
arrondissement, Mehdi Medjahed a vu un médecin
vers 23 h 15. « Il plaisantait avec les policiers, il
les connaissait tous. Je lui ai dit que mon nez était
cassé, il m’a dit : “Il est pas cassé, vous inquiétez
pas c’est pas grave.” » Le certificat estime à quatre
jours l’incapacité totale de travail, et ne relève que des
« lésions superficielles » sur le visage.
Le responsable à l’unité médico-judiciaire Paris-Nord
explique que ses médecins voient « trente fois par
jour » des gens qui « prennent des coups ». S’ils
considèrent qu’il n’y a pas d’urgence, « que cela peut
attendre quelques heures », ils recommandent aux
gardés à vue « d’aller faire des radios en sortant ». De
toute façon, ajoute-t-il, « ceux qu’on voit en garde à
vue ont déjà eu un premier filtre. S’ils ne vont pas bien,
les policiers appellent les pompiers qui les conduisent
à l’hôpital, ils ne les placent pas en cellule ».
Mehdi Medjahed a été placé samedi soir au centre
de rétention du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne.
Dimanche, deux jours après l’interpellation, au vu de
son état, d’autres policiers du centre de rétention l’ont
conduit au centre hospitalier de Meaux. « Ici, disait-
il mardi matin au téléphone, les policiers ne sont pas
comme ceux qui m’ont contrôlé. Ils se comportent
bien. Quand je suis arrivé, une dame m’a dit :
“Vous ne pouvez pas rester comme ça, il va falloir
vous amener à l’hôpital.” » Un nouveau certificat
médical est établi, relevant un traumatisme crânien,
une fracture du nez, des hématomes autour des yeux,
une cervicalgie et de multiples contusions sur le corps.
Mehdi Medjaheb, cinq jours après son interpellation.
Les policiers du XVIII e arrondissement accusent de
leur côté Mehdi Medjahed de rébellion et violences
envers une personne dépositaire de l’autorité publique
(...)
Mais à l’issue de la garde à vue, la procureure
a ordonné une remise en liberté, aucune charge
n’a été retenue, ce qui est rare dans le cas de
violences contre des policiers. (...)
Avant la fin de la garde à vue, le préfet de police
de Paris a décidé d’une obligation pour Mehdi
Medjahed à quitter le territoire sans délai. Une
procédure administrative, à l’écart de la justice, et
assortie d’une interdiction de retour pendant trois ans.
Aucune enquête n’a tenté de démêler les versions
contradictoires des policiers et de l’Algérien – qui
n’avait jamais été condamné auparavant.
« C’est intéressant, note son avocat Ruben Garcia,
car si on écoute le ministre de l’intérieur on ne place
plus en rétention que ceux qui sortent de prison,
qui ont commis des crimes ou délits graves. On voit
bien que c’est faux. (...) »
Ce mercredi matin, 62 personnes restaient présentes au
CRA du Mesnil-Amelot, sans possibilité d’expulsion
pour la plupart. (...)
Vers l’Algérie, aucun risque d’être expulsé : les
frontières sont fermées pour un moment. Mehdi
Medjahed a cependant passé deux jours en rétention.
Présenté mardi à un juge des libertés et de la détention
il a été relâché : sa garde à vue avait duré plus de vingt-quatre heures, sans procès-verbal de prolongation, la procédure irrégulière. Il est ressorti du CRA mardi
soir, le parquet ayant renoncé à faire appel. Mehdi
Medjahed reste sous le coup de l’obligation de quitter
le territoire. Il va retourner travailler en première ligne. Chaque trajet représentera désormais un danger supplémentaire pour lui.