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Les sans-papier face à l’État
Article mis en ligne le 5 mai 2022
dernière modification le 4 mai 2022

Un anthropologue analyse le sort des sans-papiers sous régime français en restituant le récit de leur quotidien.

« Migrant », « exilé », « réfugié »… Les dénominations sont vagues et les connotations, dans l’imaginaire collectif, variables. Désignant essentiellement les individus arrivés sur le sol national dans des conditions non-réglementaires, tous prennent du point de vue de l’État la figure du « sans-papier ». Les structures institutionnelles, de même que les politiques d’accueil ou les pratiques de contrôle censées assurer la surveillance de ces réfugiés, s’adaptent et se transforment en fonction de ce critère de régularisation.

Mais la frontière nationale et administrative qui régule les mobilités, organise le tri des individus et assigne les identités, n’est pas la seule pertinente pour comprendre la situation des sans-papiers. D’autres, moins visibles mais tout aussi contraignantes dans le quotidien à l’intérieur du territoire français, se matérialisent dans des regards, des injonctions, des discriminations. Les personnes dont Stefan Le Courant restitue ici le parcours ont intériorisé ces frontières, apprenant à circuler entre elles, apprenant de leurs erreurs, déployant des tactiques de détournement, acquérant divers savoir-faire. C’est alors par la menace permanente qu’elle fait peser sur le quotidien des sans-papiers que la frontière s’expérimente, façonnant leur vie et leurs pensées.

Une anthropologie des sans-papiers (...)

La préface de l’ouvrage est signée de l’anthropologue Michel Agier, qui a travaillé sur les camps et l’« encampement » du monde au seuil du XXIe siècle. Il y interroge le sens de ce qu’on appelle la « peur de l’étranger » : cette aversion, enracinée dans les préjugés xénophobes et racistes hérités de l’Empire colonial et relayée par les médias, justifie la politique des « papiers » et la présence massive de l’État dans nos existences. Naturalisant ainsi l’altérité pour mieux la repousser, elle rend impossible toute interrelation, interaction ou interconnaissance.

Ainsi immergé dans une réflexion qui n’est ni sociologique, ni psychologique, mais bien anthropologique, le lecteur fait l’expérience du quotidien de ces sans-papiers, catégorisés comme « étrangers » sur un territoire hostile, dans lequel ils tentent tant bien que mal de survivre. (...)

La production du danger

L’enquête souligne d’abord comment l’institution policière est soumise à des technologies de la performance. Si le sans-papiers est toujours une cible, il devient un simple objet dès lors que la consigne administrative est de « faire du chiffre » (d’expulsion). Une forte pression s’exerce en effet sur les commissariats pour que les agents de police attestent de bons résultats en matière de renvoi ; des primes sont mêmes indexées sur ces résultats.

Mais l’auteur montre que cette culture du chiffre se traduit également par l’émergence de toute une série de menaces qui pèsent sur le quotidien des sans-papiers. (...)

La menace de l’arrestation est permanente : la police s’immisce dans les activités les plus ordinaires, de sorte qu’on peut être interpelé à la sortie d’une gare, en sortant de chez soi, au travail, au volant d’une voiture, au guichet de la préfecture.

Les récits recueillis par Stefan Le Courant insistent tous sur la violence physique qui s’ajoute à cette violence psychologique lorsque l’arrestation surgit : la brutalité exercée sur les corps, l’exiguïté du fourgon cellulaire, l’inconfort du lit, la mauvaise qualité de la nourriture, le froid, le bruit continuel… et les menottes. Ces dernières marquent symboliquement le basculement de l’existence sous l’emprise policière. Désormais, le destin du sans-papiers lui échappe. Il ne lui reste plus que la soumission, la confiscation, l’intrusion dans l’intimité, la dégradation et la dévalorisation. (...)

Les associations : agir par le droit

Restent les associations comme la CIMADE, qui a fourni le cadre de ces enquêtes. Leur présence permet un droit de regard sur le travail policier et leurs actions donne la capacité d’enrayer, de l’intérieur, la machine à expulser. Fortes de leur capacité à circuler dans le dédale des portes closes ou dérobées, ces associations apportent des explications, du soutien et des moyens pour échapper au renvoi.

Elles traquent ainsi les éventuelles irrégularités dans les mesures d’expulsion, mais aussi les cas permettant de prouver la nullités d’une procédure (...)

Leur usage militant du droit, dont elles se saisissent comme d’un instrument de lutte, est toutefois limité et ambivalent : en exposant ces faiblesses, les actions de ce type contribue d’une certaine manière à renforcer la procédure qu’elles attaquent. Par ailleurs, le sans-papier est placé face à des discussions juridiques auxquelles on ne le mêle pas.

Enfin, les associations ne sauraient intervenir au niveau de la menace elle-même, lorsqu’elle s’insinue de toute part dans le quotidien. (...)

Seul le domicile constitue un espace de répit et de sécurité relatifs. Encore faut-il éviter les intrusions de la police dans cet espace…