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Les Echos
Tunisie : le temps des colères sociales
Article mis en ligne le 11 mars 2011

Grèves, sit-in, occupations d’usines... deux mois après la chute du régime Ben Ali, les revendications se multiplient en Tunisie. Et certains redoutent que le « chaos » ne fasse fuir les investisseurs

Hervé Bauchet est prêt à lâcher les chiens. Ce chef d’entreprise a acheté quatre pitbulls pour « sécuriser l’entreprise et les gens qui y travaillent ». Il dirige Cablitec Tunisie, une société française spécialisée dans les câbles pour l’industrie automobile.(...)

Depuis le 14 janvier et la chute de l’ancien président Ben Ali, le site, installé dans la zone industrielle de Sousse, à deux heures de Tunis, connaît des débrayages à répétition. Les grévistes réclament la réintégration d’une salariée - par ailleurs représentante du personnel -licenciée en novembre.(...)

« Le chaos menace en Tunisie, s’inquiète Charles Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques. Des soviets se mettent en place dans les usines. Cette pagaille risque de faire perdre de précieux points de croissance que le pays aura du mal à rattraper. Certains investisseurs, qui comptaient investir en Tunisie, se tournent d’ailleurs déjà vers le Maroc. »(...)

A une centaine de kilomètres de Sousse, près de Zaghouan, dans le centre du pays, Jean-Marc Mercier dirige Bonna Tunisie, filiale d’une entreprise française de BTP. Il sort d’un mois de conflit avec ses salariés. « Pendant la révolution, les ouvriers ont gardé l’usine, raconte-t-il. Une semaine après, ils réclamaient 30 % d’augmentation de salaire. (...)

La situation s’est dénouée grâce à l’intervention de l’inspection du travail et au prix d’une augmentation du salaire de base de 10 %.(...)

Autre exemple, Asteel Flash Tunisie, la filiale d’une entreprise française de sous-traitance spécialisée dans les cartes électroniques et implantée depuis seulement le 1er janvier dans le pays. « J’ai tout de suite accepté une augmentation des salaires de 10 % pour ne pas laisser pourrir le mouvement », explique Alain Eusebi, son directeur général adjoint.(...)

Si les entreprises françaises sont nombreuses à avoir ainsi dû concéder des hausses de salaire courant janvier, l’explosion sociale touche également les entreprises tunisiennes. (...)

Depuis plusieurs semaines, une cinquantaine de chômeurs de la région de Gafsa font un sit-in devant le siège de la CPG à Tunis, dans le centre de la capitale. « Ils réclament 17.000 embauches pour les 17.000 familles qu’ils ont identifiées comme manquant de ressources dans leur bassin minier, poursuit Mahmoud Maaref. A leurs yeux, ces emplois leur sont dus : ils considèrent que la révolution qui a renversé Ben Ali a démarré avec les émeutes sociales de Gafsa en janvier 2008 et qu’elle a donc abouti grâce à eux. »(...)

« Une grande partie des hôtels sont touchés par des tensions sociales liées au travail précaire, explique Kamel Saad, secrétaire général de l’UGTT en charge du tourisme. Nous voudrions réussir à la fois la révolution et la saison touristique. Alors, il faut que les patrons nous aident. »(...)

Les revendications sociales seront bientôt portées au niveau national, puisqu’une grande négociation entre patronat et syndicats doit démarrer ce mois-ci. Elle portera notamment sur les augmentations de salaire. Et ceux qui ont déjà concédé de telles hausses s’attendent à devoir remettre la main au portefeuille(...)

L’explosion sociale en cours ne surprend pas un diplomate français : « Le modèle tunisien, c’était des gens très bien formés, très mal payés, avec prière de la fermer. Alors, forcément, quand tout ça explose, ils revendiquent ! » Et certains s’inquiètent : « Jusqu’ici, la Tunisie attirait les investisseurs grâce à des salaires bas et à une grande stabilité sociale et syndicale, confie un proche des milieux d’affaires français... Or tout cela vole en éclats ! Une fenêtre s’est ouverte, le syndicat UGTT et les salariés se sont engouffrés dans la brèche et on a vu des demandes extravagantes d’augmentation de plus de 200 dinars pour des salaires de 250 dinars. »(...)

« Les demandes de hausse de salaire, qui touchent l’ensemble de l’économie, vont de 30 à 50 %, et nombre d’entre elles sont légitimes ; la révolution a montré qu’on peut rendre possible l’impensable », relativisait Elyès Jouini, le ministre en charge des Réformes économiques et sociales, avant de démissionner le 1er mars. (...)

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