
Espérant une vie meilleure, des centaines de milliers de centraméricains traversent chaque année le Mexique pour tenter de rejoindre les États-Unis. Une route périlleuse où les migrants sont victimes des gangs, qui les rançonnent, les battent, les violent, les forcent à travailler ou les tuent. Depuis 10 ans, une caravane des mères des migrants disparus part à la recherche des fils ou des maris qu’elles n’ont jamais revus. Rencontre avec ces femmes qui se battent, entre détermination, colère et espoir.
Elles portent autour du cou la photo de leur enfant ou de leur mari disparus. Ces 70 femmes du Guatemala, du Salvador, du Nicaragua et du Honduras entreprennent chaque année, depuis 10 ans, de parcourir la route mexicaine qu’ont empruntée les membres de leurs familles. Entre espoir et tristesse, les femmes qui forment cette caravane ont une seule question en tête : que sont-ils devenus ?
Depuis 20 ans, 70 000 migrants auraient disparu au Mexique, sur la route qui les mène aux États-Unis. 70 000 personnes dont les familles n’ont plus aucune nouvelle [1]. Ont-elles été tuées ? Sont-elles encore vivantes mais forcées à se prostituer ou réduites à l’esclavage ? Pour les migrants, le passage par le Mexique est un enfer. Pour rejoindre la frontière avec les États-Unis, ils grimpent sur le toit d’un train de marchandises qui sillonne le pays du sud vers le nord. Son nom : la « bestia » (la bête). Le train est régulièrement attaqué par des bandes-organisées, qui le stoppent et exigent des frais de passage auprès des clandestins. Ceux qui ne peuvent pas payer sont battus, violés, forcés de travailler pour les gangs ou tués.
Chaque année, 140 000 à 400 000 migrants
Malgré les dangers, ils sont entre 140 000 et 400 000 chaque année, d’après l’Organisation internationale pour les migrations, à tenter de rejoindre les États-Unis, sur les toits de la « bête ». (...)
Ils quittent leurs pays principalement pour des raisons économiques. Au Honduras, au Guatemala et au Salvador, la moitié des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté [2]. Mais ces migrants fuient aussi la violence des gangs, appelés les « maras », dont ils sont souvent victimes dans leurs pays. (...)
Partout dans le monde, les routes qui mènent à une vie supposée meilleure sont périlleuses. Dans le Sinaï, en Égypte, les Érythréens qui fuitent leur pays sont kidnappés et torturés jusqu’à ce que leur famille accepte de payer des rançons [3]. Entre l’Afrique du Nord et les côtes européennes, plus de 150 000 personnes ont tenté la traversée, en 2014. Plus de 3000 d’entre eux sont morts. Des groupes criminels organisent la traite d’humains. Dans le sud de l’Italie, certains sont capturés et forcés à travailler dans des cultures de tomates. Au Mexique, au moins 3000 morts ont été recensés. (...)
En 10 ans, environ 200 migrants ont ainsi été retrouvés vivants grâce à cette « Caravane des mères des migrants disparus ». Certains avaient été perdus de vue depuis plusieurs années. Capturés, empêchés de contacter leurs familles, intégrés de force dans des réseaux de prostitution. D’après Amnesty International [4], six femmes migrantes sur dix sont victimes de violences sexuelles au Mexique. (...)
L’objectif de la « caravane » est aussi de dénoncer l’incapacité du gouvernement mexicain à s’attaquer aux racines du problème : le crime organisé et les déséquilibres économiques créés notamment par l’Alena, l’accord de libre échange signé par les États-Unis, le Canada et le Mexique, en 1994. En augmentant les échanges économiques entre les trois pays, cet accord accroît les inégalités économiques entre le nord et le sud de la frontière, forçant les paysans mexicains à migrer vers les États-Unis. Les entreprises installées dans les zones franches de la frontière, attirent aussi de nouveaux migrants. Ils espèrent trouver aux États-Unis – ou à sa frontière – ce qu’ils n’ont plus chez eux : un emploi.
La Caravane vise aussi à « donner du pouvoir » à ces femmes. Les participantes échangent sur leurs droits, apprennent à prendre la parole en public. « Les femmes sont formées politiquement. Elles passent du statut de victimes à celui de leaders, estime Marta Sanchez. C’est ce que nous souhaitons : qu’à leur retour dans leur communauté, elles s’engagent. » (...)