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« Stop 5G ». Ces habitants, docteurs et juges qui vont à contre-courant de l’amour des Italiens pour les smartphones
Maria Maggiore, Investigate Europe
Article mis en ligne le 17 mai 2020

Institutions européennes, entreprises de télécom et gouvernements nationaux sont bien décidés à déployer rapidement la 5G sur le vieux continent. La technologie est présentée comme un moteur de croissance et d’emploi, mais les questions demeurent sur ses avantages réels. Sur le terrain, certains s’inquiètent des impacts environnementaux et sanitaires de l’installation de dizaines de nouvelles antennes. La résistance locale à la 5G a-t-elle une chance ? Article extrait de notre publication Villes contre multinationales.

« Nous ne voulons pas être transformés en rats d’un laboratoire à ciel ouvert ! »

Nous sommes le 2 décembre 2018, sur la place de l’église de L’Aquila. Plusieurs signataires d’une pétition demandant à la municipalité d’enlever l’antenne 5G se sont donné rendez-vous. Ils sont presque 1900 ingénieurs, docteurs et citoyens de la région à l’avoir signée. Gianmaria Umberto, une médecin, fait partie des signataires : « Nous avons déjà eu le drame du tremblement de terre, nous ne voulons pas être transformés en rats d’un laboratoire à ciel ouvert ! » Giulio Pace, président de l’association Creonlus, qui coordonne le comité de résistance local, précise qu’une première antenne a été installée en 2009 pour rétablir les lignes téléphoniques en urgence après le tremblement de terre. « Elle devait rester six mois, raconte-t-il. Puis la période a été rallongée de six mois, et ainsi de suite. »

Le pylône finira par rester neuf ans : il y a deux ans le maire de l’époque, Massimo Cialente, a fait voter une résolution confirmant son installation définitive. « Et maintenant, nous avons ce nouveau monstre qui arrive, ouvrant la voie à la transition vers la 5G », s’indigne Pace. Les citoyens de L’Aquila ont désormais deux antennes dans le paysage, à seulement... deux mètres de distance. (...)

Au final, le 28 février 2019, le conseil municipal à été contraint de voter le déplacement de l’antenne sous 30 jours dans un « endroit alternatif ». Le comité local de résistance avait en effet dégoté un argument imparable : dans la précipitation de l’installation, la mairie avait oublié d’inclure l’antenne dans le plan local d’urbanisme, ce qui est illégal.

Mais, hélas, depuis la décision communale de février 2019, rien n’a changé à L’Aquila. Il y a eu entre temps des élections européennes, puis régionales, puis le gouvernement italien a changé, mais l’antenne de la honte, haute de 35 mètres, est toujours là, entre les maisons de la belle colline de Pagliare di Sassa.
Ruée sur la 5G

Dans la région, la guerre contre la 5G est loin d’être gagnée. « D’ici la fin de l’année, sept antennes seront installées à L’Aquila », précise Lucio Fedele, chef opérateur du constructeur chinois ZTE, qui a ouvert son centre européen de recherche sur la 5G dans la ville, capitale de la région des Abruzzes, où vivent environ 72 000 personnes. Ce n’est que le début : d’après nos informations, les géants italiens des télécoms prévoient d’installer dans la région une nouvelle antenne... tous les cent mètres. Il ne s’agit pas des mêmes constructions qu’à L’Aquila, mais d’antennes relais plus petites qui vont constituer l’essentiel des mailles du réseau.

Le gouvernement ne s’est pas fait prier pour expérimenter la 5G. Dès 2017, Rome a désigné cinq villes test : L’Aquila, Bari, Milan, Prato et Matera. Pour développer les réseaux, les entreprises ont mis la main à la poche, en partenariat avec des PME locales et des universités, tout en profitant de municipalités très favorables à ces nouvelles installations. La Société internationale des médecins pour l’environnement a bien tenté de demander une étude sur l’impact environnemental et humain de la 5G, auprès du ministère de l’Environnement, mais cette requête est restée lettre morte. Une enquête a finalement été lancée par la Chambre des députés en 2018, au sein de sa commission Transport et Télécoms. Les premiers invités : Vodafone, Tim et Fastweb. En Italie, bien rares sont ceux qui ont intérêt à freiner le train de la 5G. (...)

Les petites communes résistent

Les seules qui se révoltent sont des petits communes, entre 10 000 et 50 000 habitants. (...)

« Nous ne savions en rien que nos communes avait été choisies pour les tests 5G, alors ne nous parlez pas d’opportunités. C’est ridicule. » Aucune antenne ne pourra désormais être installée à Marsaglia.

Après le Piémont, la révolte des petites communes s’est élargie à toute la botte italienne (...)

À ce jour, 13 communes italiennes choisies par le gouvernement de Rome pour les expérimentations ont dit non à la 5G. 70 autres communes ont voté une motion s’interrogeant sur les risques de la 5G.

Un appel de 60 porte-paroles d’administrations locales a été présenté au parlement italien lors d’une conférence contre la 5G en juin 2019. Le paradoxe dans cette histoire est que la base du Mouvement 5 étoiles demande la fin de la 5G à un gouvernement... dont le principal parti est ce même Mouvement 5 étoiles ! (...)

Tout ceci reste pour l’instant une goutte d’eau dans l’océan de consommateurs italiens très accros à leurs smartphones. L’Italie est le troisième pays au monde en termes de présence des téléphones
mobiles (...)

Seules quelques voix ont commencé à s’élever pour alerter sur les dangers potentiels des ondes électromagnétiques (...)

Et si, les maires des petites communes s’organisent depuis le terrain, certains magistrats ont lancé la bataille judiciaire pour faire reconnaître la dangerosité des ondes électromagnétiques au plus haut niveau.
Les juges tracent la voie d’une jurisprudence

L’Italie est déjà le premier pays d’Europe à compter trois jugements établissant un lien de causalité entre l’utilisation de téléphones portables et le développement de tumeurs au cerveau. (...)

« Le but, tout comme le combat contre les multinationales du tabac, est d’attaquer les fabricants de téléphone et les distributeurs, explique l’avocat Stefano Bertone, impliqué dans le procès d’Ivrea. Mais nous devons avancer pas à pas : l’opinion publique reste très favorable aux smartphones et aux applications numériques. »

Fort de cette victoire, l’avocat, avec l’association APPLE, a décidé en 2018 d’attaquer devant les tribunaux administratifs les ministères de la Santé, de l’Environnement, de l’Éducation et du Développement économique. Motif ? Ils n’ont pas correctement informé les Italiens sur les risques liés aux ondes électromagnétiques, comme l’exigeait pourtant la loi italienne de 2001 sur la « Protection contre les champs électromagnétiques ». Ils ont fini par avoir gain de cause au tout début de l’année 2019. À travers une décision qui devrait faire date en Europe, le tribunal administratif a condamné trois ministères sur les quatre poursuivis. Les juges ont assorti cette décision de l’obligation de mettre en place, dans un délai de 6 mois, une campagne d’information sur les risques liés à l’utilisation des téléphones portables et du Wi-Fi. L’avocat n’a pas l’intention de s’arrêter là : « Bientôt, nous serons prêts à attaquer toute l’industrie en justice. »