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Sous la carapace idéologique, les troubles psy des terroristes solitaires
Patricia Cotti Maître de conférences – HDR en psychologie et psychopathologie clinique, Université de Strasbourg
Article mis en ligne le 11 décembre 2019
dernière modification le 10 décembre 2019

Les « terroristes acteurs solitaires » (lone actor terrorists) sont devenus le cauchemar des services de renseignements.

Les attaques récentes d’Usman Khan (Londres), celle de Stephen Balliet (la Halle), ou encore, pour s’en tenir à quelques exemples de l’année 2019, celle de Patrick Crusius (El Paso) ou de Brenton Tarrant (Christchurch), rappellent cette réalité du terrorisme.

En France, il y a un an, un homme de 29 ans, Cherif Chekatt attaquait des passants à Strasbourg en plein marché de Noël au cri de « Allah Akbar ». Cet attentat au couteau et à l’arme à feu aura fait cinq morts et onze blessés.

Nos travaux sur le terrorisme nous ont amenés à reconsidérer la question du « loup solitaire » auquel nous préférons le terme « terroriste acteur solitaire » (TAS). C’est à travers le profil psychologique de ces individus que nous avons cherché à comprendre leur passage à l’acte. Car sous leur carapace idéologique, très logiquement exprimée, qui peut aveugler les interlocuteurs (experts, enquêteurs ou chercheurs), les acteurs solitaires ont des troubles psychiques importants, apparus plus ou moins tôt et parfois mal diagnostiqués.
Autonomes mais pas déconnectés

L’expression « loup solitaire » remonte à une stratégie d’abord prônée par des suprémacistes blancs américains Alex Curtis et Tom Metzger et fut ensuite largement encouragée par des groupes terroristes comme Al Qaïda et Daech. (...)

Comme le soulignait récemment le chercheur Nicolas Lebourg, ces individus ne sont pas complètement détachés de tout contact avec une organisation terroriste ou un environnement radical.

Ainsi, pour éviter toute mystification et rester au plus près de la réalité d’un mode d’action, on préfère aujourd’hui le terme plus sobre de « terroristes acteurs solitaires » (TAS).

Or, ces individus ont fait l’objet d’évaluations intéressantes. Notamment 20 et 60 % d’entre eux auraient des troubles psychiques connus, voire souffriraient de troubles psychiatriques avant leur passage à l’acte. Cependant le fonctionnement et l’implication de ces troubles dans l’acte terroriste sont rarement analysés dans le détail, notamment en France.
Un nexus de psychopathologie et d’idéologie

Nos propres études de cas de terroristes acteurs solitaires nous ont mené à reconstituer très précisément la manière dont un fonctionnement pathologique préexistant, ou qui se fait jour, va trouver dans l’idéologie extrémiste, islamiste ou non, des représentations qui vont alimenter son mécanisme. (...)

Cet agencement semble principalement composé de trois pôles psychiques : persécution, dépression, mégalomanie. Chacun est plus ou moins développé selon les individus. Le chemin de radicalisation qui mène à l’acte terroriste solitaire privilégie le développement de ces trois pôles qui en viennent à prendre le dessus sur le reste de la personnalité, quelle qu’elle soit, au fur et à mesure que croît l’engagement. (...)

les radicalisés et les terroristes se réclamant de l’extrême droite comme de l’islamisme violent fonctionnent de manière assez semblable.

Bien souvent ces processus sont l’émanation de différents traumatismes (violences et abus) ou carences (affectives et éducatives) qui resurgissent à l’adolescence.

L’idéologie extrémiste sert alors de carapace et de contention, qui permet une identité sociale contestataire. À partir de là, le jeune peut envisager un départ vers une zone de combat ou une action violence. Un type de parcours que connaissent bien les acteurs de terrain dans leur suivi de jeunes radicalisés et de leur famille.
Examiner les écrits et les histoires de vie

Alors que l’action terroriste est très difficile à anticiper et à prévenir, l’étude des antécédents psychiques des terroristes acteurs solitaires peut en revanche contribuer à comprendre les motivations profondes de leur passage à l’acte et notablement aider à réfléchir à leur prévention.

Nombre d’entre eux laissent derrière eux des éléments biographiques ou des récits personnels qui permettent d’analyser leurs motifs intimes, notamment lorsqu’ils ont eu affaire aux services judiciaires, d’aide sociale ou psychologiques. (...)

Les études de cas montrent ainsi un parcours qui n’est souvent ni glorieux ni élogieux, mettant en évidence l’origine de la violence dans les interactions précoces avec le milieu familial et les problèmes psychiques.

C’est d’ailleurs pour cette raison que plusieurs de ces terroristes préfèrent que ne soit pas révélés leur histoire notamment psychologiques car cela risque d’écorner leur image de combattant politique. La psychanalyse, en questionnant les motivations profondes, les complexes sous-jacents, dégonfle souvent la baudruche idéologique dont s’est entouré le terroriste.

Mais en France, contrairement au monde anglo-saxon, l’absence de minutes des procès, d’accès aux expertises psychiatriques et l’étanchéité entre les différents services (psychiatriques, carcéraux ou de protection de l’enfance), continuent à rendre l’analyse du fonctionnement psychologique de ces terroristes très difficiles.

Si les études actuelles n’inclinent pas vers une généralisation du lien entre maladie mentale, au sens strict du terme, et radicalisation violente, les modes de fonctionnements pathologiques que l’on retrouve dans l’étude des terroristes acteurs solitaires ne sont ni banals, ni ordinaires. Appelés « folie » par l’homme du commun, ces fonctionnements psychiques défient le lien social et les interdits fondamentaux sur lesquels il se fonde. Leur étude nous paraît dès lors indispensable.