
Au moins sept personnes ont été tuées samedi au Soudan, lors des marches organisées par les opposants au coup d’État. La junte était bien décidée à empêcher une forte mobilisation, comme celle du 30 octobre, cinq jours après le putsch. Reportage dans la capitale.
(...) « Nous n’avons que ça, aujourd’hui, des blessures par balle réelle », lâche un médecin. Un mort, dix-neuf blessés, dont cinq en état critique. C’est le bilan de la « Marche du million » dans cet établissement privé du quartier de Buri, à Khartoum. Le total, selon le Comité central des médecins, s’élève à sept morts et cent vingt-deux blessés à Khartoum.
Faute d’internet, coupé depuis le 25 octobre, il était impossible, dimanche 14 novembre, d’obtenir le bilan des manifestations qui se sont déroulées dans huit autres villes dans tout le pays.
Pour les opposants au coup d’État du 25 octobre dernier mené par le général Abdel Fattah al-Bourhan, cette journée a un goût amer. Ils n’ont pas réussi à réitérer l’exploit du 30 octobre avec les cortèges immenses sur les grandes avenues de la capitale et dans vingt-cinq villes de province. (...)
La junte était bien décidée à empêcher la prise d’images de forte mobilisation qui avaient alors circulé sur les réseaux sociaux malgré la coupure d’internet. Les « comités de résistance », fer de lance de la résistance au coup d’État, avaient tout prévu : des caméras GoPro disséminées sur toute l’avenue de l’Afrique, point de convergence des cortèges de toute la capitale, des lieux de diffusion avec internet filaire. Ils n’ont pu filmer que les attaques des forces armées contre les manifestants.
Traditionnellement, les marches, dites « du million » depuis la révolution de 2019, sont désormais organisées quartier par quartier par les « comités de résistance ». De petits cortèges se mettent ainsi en branle et se rejoignent, formant une seule et même manifestation, énorme.
Ce 13 novembre, les différents rassemblements organisés dans les quartiers n’ont pas pu faire la jonction, attaqués sitôt formés par les forces de police, l’armée et, selon les témoins, les forces paramilitaires de la Force de soutien rapide (FSR), les anciens janjawid responsables de massacres au Darfour.
Au jeu du chat et de la souris, ce sont les balles réelles des forces armées qui ont gagné. (...)
« C’est encore plus difficile maintenant, car les forces contre nous sont plus nombreuses. En 2019, nous étions pourchassés par le NISS [Service national de renseignement et de sécurité – ndlr], les renseignements militaires et FSR. Aujourd’hui, tu rajoutes l’armée et une milice du Darfour. Ça commence à faire beaucoup. » (...)
Salman, un médecin, confirmait : « La répression est plus violente qu’en 2019. Entre le 25 octobre et le 2 novembre, nous avons reçu quatre-vingt-six blessés et quatre morts, tous par balle sauf un. Deux d’entre eux, des homme jeunes, ont été victimes d’exécution sommaire : une balle dans la tête presque à bout touchant, et un troisième a été percuté par un véhicule de l’armée après une véritable chasse à l’homme. Ils l’ont pourchassé, coincé contre un mur, et écrasé. Il y a des viols, et des gens tabassés. »
La junte montre qu’elle n’a nullement l’intention de lâcher. Tôt le matin de ce 13 novembre, tous les ponts reliant Khartoum et ses villes jumelles d’Oumdorman et de Bahri ont été fermés par des blindés. Les grands axes, notamment l’avenue de l’Afrique, ont été bloqués par des pick-up armés de mitrailleuses légères et des barrages de barbelés coupants. Un hélicoptère de la police survolait la ville.
De leur côté, pour empêcher, ou au moins ralentir, la circulation des forces armées, les protestataires ont coupé les avenues dans chaque quartier par de petites barricades de briques, troncs d’arbre et gravats. Derrière ces fragiles protections se sont formés un peu partout des rassemblements de quelques dizaines, ou centaines, de personnes selon les endroits. Certains ont réussi à converger, mais jamais pour très longtemps, vite dispersés à coups de grenades lacrymogènes, grenades assourdissantes et surtout par des tirs de balles réelles. (...)
Sur le bitume, au milieu des drapeaux soudanais, la détermination des protestataires est intacte. Hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, adolescents, les foules sont bigarrées. Certaines femmes sont maquillées et portent le pantalon, qui leur était interdit sous le régime d’Omar al-Bachir, d’autres ont le visage enserré dans un foulard, d’autres encore, les plus âgées, ont le corps enroulé dans un tob, voile léger et coloré. On voit même, ici ou là, des femmes portant le niqab, voile intégral, marque des islamistes, pourtant alliés des militaires.
Chez les hommes, la tenue va du jean slim à la gallabiyah, robe blanche traditionnelle, en passant par le bermuda. Des jeunes arborent des coupes de cheveux afro, ce qui, par les temps qui courent, est un manifeste politique : dans les premiers jours du coup d’État, des militaires ont rasé de force les cheveux de jeunes révolutionnaires. (...)
« Nous avons renversé Omar al-Bachir, nous renverserons ceux-là !, s’exclame Hanane, 61 ans, qui travaille dans l’aviation civile. Nous continuerons jusqu’à la libération de notre premier ministre Hamdok et de tous les prisonniers ! » (...)
« Bourhan ne sait plus quoi faire : il nomme des gens sans leur demander leur avis parce qu’il veut absolument faire croire qu’il tient les manettes. Mais beaucoup refusent. C’est le cas pour l’instant avec tous ceux qu’il a voulu nommer ministres, analyse un observateur soudanais. C’est dangereux aussi, parce qu’il ne lui reste que la répression, les arrestations et les balles. »
Les voitures du NISS sont de retour dans les rues de Khartoum, et ses agents en civil. Les vieilles méthodes également. Ce dimanche matin, le directeur de la chaîne de télé Al-Jazeera à Khartoum a été arrêté à son domicile. Une arrestation de plus.