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Sommes-nous vraiment en train de revivre les heures « les plus sombres de notre histoire » ?
Article mis en ligne le 28 juillet 2017

En se focalisant sur l’analogie avec les années 1930, on peut évidemment redouter que la fin de l’ordre international ne soit proche. Mais si l’on se penche sur les années 1970, on peut alors se dire que l’avenir n’est peut-être pas si sombre.

Serions-nous en train de traverser une période qui ressemble à la terrible décennie des années 1930, quand les régimes autoritaires étaient partout triomphants, quand les dirigeants démocratiques ne parvenaient pas à les arrêter, que le système international s’était alors disloqué et que le monde entier avait basculé dans la guerre ? Ou bien vivrions-nous plutôt quelque chose qui ressemble à la fin des années 1970, quand l’Amérique qui se remettait lentement de sa longue participation à une guerre finalement perdue en Asie –celle du Vietnam– et d’une crise économique prolongée, commençait à changer de cap et se lançait dans une période de rétablissement national et de réaffirmation de son ascendant international ? Lorsque les situations sont difficiles et complexes, il est fréquent que l’on s’essaie à les comparer à des situations antérieures. Depuis l’élection de Donald Trump, les Américains sont en quête de la meilleure analogie historique qui leur permettrait de comprendre ce qui se passe à l’échelle globale.

Mais le problème avec les analogies historiques, c’est qu’elles produisent le plus souvent autant d’ombres que de lumière. Notre époque actuelle ne saurait en aucun cas ressembler « absolument » à des événements du passé. Se fixer sur une seule analogie ou comparaison tend à nous faire exagérer les grandes similitudes entre hier et aujourd’hui, tout en négligeant les innombrables différences. Le philosophe George Santayana affirmait que « ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter ». Mais dans les faits, ceux qui se focalisent trop sur un précédent historique particulier sont susceptibles de mal comprendre le présent.

L’historien Ernest May et le politologue Richard Neustadt, qui ont également servi de conseillers spéciaux à plusieurs administrations américaines, proposent une autre lecture. Dans leur livre, Thinking in Time, ils soutiennent que la seule façon de rendre les analogies utiles –plutôt que dangereuses– est tout simplement de les comparer les unes aux autres. Ainsi demandent-ils aux décideurs en quête de moments historiques comparables, d’examiner plusieurs cas historiques similaires.(...)

La comparaison des deux périodes, dans leurs similitudes et leurs différences, suggère que l’analogie la plus pertinente est sans nul doute celle des années 1970 et pas celle des années 1930. L’ordre international n’est pas encore en lambeaux ; il y a davantage de raison d’espérer que de désespérer. Mais l’analogie avec les années 1930 donne un autre aperçu critique. Si les États-Unis et d’autres défenseurs de l’ordre international n’ont plus la volonté de prendre des mesures décisives en faveur des accords mondiaux qu’ils ont contribué à faire signer –comme cela est arrivé au cours des années 1930– alors les choses pourraient rapidement se dégrader. Nous pourrions bien finir par retomber dans les travers et les affres d’une période bien plus sombre. (...)

Il est difficile de ne pas reconnaître les échos des années 1930 dans les événements d’aujourd’hui. La démocratie est de nouveau sous tension dans de nombreux pays, et des puissances autoritaires agressives n’ont de cesse de placer leurs pions sur l’échiquier mondial. Bon nombre des principaux pouvoirs démocratiques sont en pleine crise de confiance et divisés en interne. Une guerre civile terrible, plus en Espagne, mais en Syrie, est à nouveau devenue une arène où s’affrontent les grandes puissances ; les doutes relatifs au maintien des engagements de l’Amérique à soutenir un système mondial stable sont à nouveau importants. Comme Robert Kagan et d’autres l’ont fait observer de façon convaincante, l’analogie avec années 1930 reflète certainement un sentiment généralisé de peur chez nos contemporains devant le délabrement de l’ordre international, et devant l’incertitude déstabilisatrice que créé le renversement apparent de la politique d’internationalisme des États-Unis qui avait cours sous Obama. Quelles que soient les limites de la comparaison, les années 1930 continuent de nous avertir de la rapidité avec laquelle les choses peuvent rapidement dégénérer –mais aussi de ce qui se passe lorsque les défenseurs de la paix et de la stabilité internationales décident de se retirer du jeu. (...)

Différences cruciales
Cependant, il existe des différences cruciales entre cette période et la nôtre. Au cours des années 1930, c’est l’idée même de la gouvernance démocratique qui était menacée de mort par la montée en puissance des pays autoritaires. Nous pouvons bien vivre aujourd’hui une récession démocratique inquiétante, mais on compte encore plus de 110 démocraties dans le monde et les démocraties occidentales possèdent toujours une prépondérance claire à l’échelle mondiale, sur tous les autres régimes autoritaires. Dans les années 1930, il n’existait aucune coalition forte pour enrayer les progrès de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste, de la Russie stalinienne et du Japon impérial, et il s’est avéré impossible de former une telle coalition avant que le système mondial dans son ensemble ne s’effondre. Aujourd’hui, en Europe et dans l’Asie-Pacifique, des coalitions créées dans le but exprès de prévenir les actes d’agression par des États dictatoriaux sont bien en place. Cela ne signifie pas pour autant que l’OTAN ou les traités d’alliance de l’Amérique avec les grandes puissances de la région Asie-Pacifique ont dissuadé les aventures territoriales de la Russie en Ukraine ou de la Chine en mer de Chine méridionale. Mais les mécanismes géopolitiques de base qui permettent d’empêcher une agression ultérieure existent. Ils ont déjà été utilisés par le passé et ils connaissent une deuxième jeunesse avec les nouvelles pressions internationales qui émanent de Pékin et Moscou. (...)