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Sigolène Vinson, la seule épargnée de Charlie Hebdo : "Même mon chagrin est devenu stoïque"
[Tous les jours jusqu’au 2 septembre, France Inter dresse le portrait de tous les protagonistes du procès des attentats de janvier 2015 : victimes, familles, terroristes, accusés, magistrats, avocats…]
Article mis en ligne le 26 août 2020

Sigolène Vinson est celle que Chérif Kouachi a épargnée, à Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, en lui disant qu’il lui laissait la vie sauve parce qu’elle était une femme, et qu’il lui faudrait lire le Coran. Cinq ans après, l’écrivaine reste traumatisée malgré sa résilience. Elle s’est confiée à France Inter.

Onze sont morts sous ses yeux. D’autres ont survécu et portent, comme elle, la cicatrice du traumatisme, cinq ans après. (...)

Parler des attentats reste difficile pour elle, cinq ans après. Elle ne veut pas qu’on pense qu’elle se met en avant. Et c’est douloureux pour elle d’évoquer cet événement traumatique, avec cette blessure invisible, enfouie au fond d’elle, “derrière un tout petit voile de crêpe”. Mais Sigolène Vinson a accepté de se confier à France Inter. Confidences pudiques. D’habitude, Sigolène Vinson préfère écrire, des livres surtout, et encore quelques chroniques, de temps en temps, pour Charlie Hebdo. Elle vient d’ailleurs de rendre son dernier roman, "La canine de George", aux éditions de l’Observatoire, qui sera publié dans quelques mois. Mais depuis cinq ans, elle n’a presque rien écrit sur ces attentats de janvier 2015. Trop éprouvant. (...)

Ce 7 janvier 2015, Sigolène Vinson avait enfourché un Vélib pour se rendre jusqu’à Charlie Hebdo. Son amoureux devait l’accompagner au journal, et il avait finalement bifurqué juste avant, boulevard Richard-Lenoir. Sigolène Vinson était entrée acheter un gâteau dans une boulangerie, pour l’anniversaire du dessinateur Luz. “J’étais préposée aux viennoiseries, j’apportais souvent des chouquettes, des croissants, des pains au chocolat. Je n’ai trouvé à la boulangerie qu’un gâteau marbré, c’est ce que j’ai pris”, ce matin-là. Un matin d’hiver gris et froid. Sigolène Vinson se souvient que quand elle est arrivée à la rédaction, “il y avait déjà du monde, notamment dans la cuisine, avec les invités de Cabu, et il y avait Tignous qui était là tôt et c’était un fait rare, car généralement, il arrivait en retard”. Elle se souvient aussi de la Une, “drôle, parce que c’était Michel Houellebecq qui devenait mage”. Elle se rappelle également que la dessinatrice Catherine lui avait concocté une petite surprise autour de Jean-Jacques Goldman, “parce que j’aime bien Jean-Jacques Goldman, les copains du journal le savaient, et du coup Catherine avait fait un dessin en page 2 ou 3, c’était un squelette dans un placard, il y avait une dame qui ouvrait un placard et la femme disait oui, oui, on l’aime beaucoup, il est très discret”. Sigolène Vinson sourit. Elle triture nerveusement ses doigts. Et continue à raconter ce terrible 7 janvier 2015. (...)

“Moi, j’ai compris dès les premiers coups de feu”, explique-t-elle d’une voix blanche. Elle comprend parce qu’elle a grandi à Djibouti, “au pied d’un minaret”, à une époque où ce bout d’Afrique était secoué par des attentats, dans les années 80. Son père a d’ailleurs échappé à l’un de ces attentats, quand elle était petite. Il lui explique comment éviter les bombes et les attaques. Sigolène Vinson retiendra pour toujours la leçon. (...)

Chérif Kouachi répète à Sigolène Vinson qu’il va l’épargner. “Il me dit qu’il m’épargne parce que je suis une femme, et il me dit puisque je t’épargne, tu liras le Coran”. Puis, elle entend Chérif Kouachi crier à son frère ”on ne tue pas les femmes, on ne tue pas les femmes, et à partir de ce moment-là, ils quittent les locaux du journal”.
“Il y avait un silence de mort, on comprend tout de suite, avant même de voir, qu’il n’y a plus de vie, que la vie est partie”.

Dans la rue, les terroristes hurlent qu’ils ont vengé leur prophète Mahomet. Derrière eux, à Charlie Hebdo, ne règne plus que le silence. (...)

Après, elle ne sait plus très bien. Elle ne se rappelle plus les heures, ni les jours d’après. Sauf cette peur, encore, quand elle apprend la prise d’otages à l’Hyper Cacher, deux jours après le massacre auquel elle a assisté. Puis elle se rappelle comment elle a appris l’assaut du GIGN dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële où s’étaient réfugiés les frères Kouachi à la fin de leur cavale. (...)

La mer Méditerranée est désormais son horizon. Le bleu de la mer pour s’apaiser et se reconstruire. (...)

Depuis l’attentat, elle s’attache aux choses simples : nager dans la mer, admirer le coucher du soleil, regarder les étoiles, lire, faire la route à pied ou à moto, manger des figues fraîches qu’elle ramasse en chemin, ou des abricots. C’est ainsi qu’elle se répare. Guérit peu à peu de ses cauchemars, qui l’ont tenaillée pendant plus de trois ans. (...)