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le Monde Diplomatique
Sans-papiers koweïtiens au Koweït
Article mis en ligne le 28 décembre 2013
dernière modification le 23 décembre 2013

Comme les autres pays pétroliers du Golfe, le Koweït vit grâce à une main-d’œuvre étrangère corvéable à merci. Mais les « bidoun », ces citoyens privés de droits, sont une particularité du petit émirat.

Une route, parfois un simple chemin de terre, sépare les deux mondes. Du mauvais côté, des maisons basses en parpaings ou en tôles ondulées, des entrées barrées de draps tendus, des fils électriques dénudés au ras du sol, une allure de provisoire qui n’en finit pas. De l’autre, des villas de plusieurs étages, pimpantes, pas forcément luxueuses, mais qui respirent le bien-être et la stabilité.

Du bon côté, des familles de fonctionnaires, d’enseignants, de médecins, disposant de tous les avantages de la nationalité koweïtienne, propriétaires de leur logement grâce aux aides gouvernementales. De l’autre, des familles d’anciens fonctionnaires, d’anciens policiers, d’anciens militaires qui ont découvert, au tournant des années 1990, qu’ils n’étaient pas des « nationaux » et se sont retrouvés privés de leurs droits, exclus des écoles et des hôpitaux publics. Simples locataires, ils paient chaque mois un loyer au gouvernement.

Nous sommes à Tayma, une ville située à quelque vingt-cinq kilomètres de Koweït, la capitale (...)

descente aux enfers de ces oubliés du riche émirat pétrolier : « Depuis l’indépendance jusqu’à 1985, ils ont bénéficié des mêmes droits que tous les citoyens. Ceux qui voulaient étudier à l’étranger obtenaient des bourses de l’Etat. Ils étaient massivement présents dans l’armée et la police : 70 % des effectifs environ. »

A partir de 1985, le discours des autorités à leur égard se durcit. On les accuse d’être des nationaux d’un autre Etat (Irak ou Arabie saoudite), de cacher leurs papiers pour bénéficier de tous les avantages de l’Etat-providence. Mais le vrai tournant date de l’occupation irakienne, en 1990-1991. On les soupçonne — comme les Palestiniens — d’avoir pactisé avec l’ennemi. Ils sont alors privés de l’éducation et de la santé gratuites, rejetés de l’armée, de l’administration et de la fonction publique. On refuse de leur délivrer des certificats de mariage ou de divorce. Des pressions multiples s’exercent pour qu’ils révèlent leur « vraie nationalité », et on les pousse à l’exil. Leur nombre, évalué alors à deux cent cinquante mille ou trois cent mille, est tombé, officiellement, à cent cinq mille.

Ces discriminations soulèvent peu de protestations. (...)
Pourtant, des voix dissidentes commencent à se faire entendre, et les organisations internationales de défense des droits humains se mobilisent. Les conséquences des mesures de discrimination, notamment en matière de scolarisation, émeuvent jusqu’à des membres de la famille régnante. La fille de l’émir obtient ainsi au début des années 2000 la création d’une caisse spéciale pour aider à l’éducation des jeunes. Aujourd’hui, treize mille enfants et adolescents, âgés de 7 à 18 ans, bénéficient de ces bourses.

Emerge aussi une nouvelle génération de bidoun, qui a eu accès à l’enseignement supérieur ou qui a réussi à surmonter les embûches semées par le pouvoir en fréquentant les facultés privées. « C’est en 2006 que nous avons commencé nos activités, explique l’un de ces militants. Nous avons réussi à abattre le mur du silence, à faire mieux connaître notre cause. »

Mais, poursuit-il, les résistances viennent de nombreux milieux (...)

« Le secteur privé, explique notre interlocuteur, aime à les employer dans tous les services qui supposent des contacts avec le public, parce qu’ils sont, de par leur culture, totalement koweïtiens. Ils travaillent ainsi dans les cabinets d’avocats, le commerce, la sécurité, voire dans les écoles ou les hôpitaux privés. Ils sont corvéables à merci, moins bien payés, sans droit aux vacances. » (...)