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Mediapart
Rony Brauman : « Comment a-t-on pu oublier l’Irak et l’Afghanistan ? »
Article mis en ligne le 25 mars 2011

Rony Brauman, ancien président de l’association Médecins sans Frontières (de 1982 à 1994), est professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a été l’un des premiers intellectuels à critiquer la guerre en Libye décidée par Sarkozy « dans des conditions baroques ».Il détaille les leçons à tirer des interventions et guerresprécédentes, s’étonnant que ces expériences soient aussi peu prises encompte.

 Comment expliquer cette quasi-unanimité sur l’entrée en guerre de la France, même si on entend maintenant quelques voix dissonantes ? S’explique-t-elle par l’urgence de la situation en Libye ou par une recomposition plus ancienne du champ politique et médiatique ? (...)

Je me l’explique mal. Les désastres des guerres d’Irak et d’Afghanistan semblent en dehors des esprits. Pourquoi les échecs sur le terrain – par rapport aux objectifs prévus – ne sont-ils pas davantage présents dans les discours sur la guerre ? Sans doute les notions d’urgence et d’humanitaire font-elles écran et empêchent-elles de se confronter à la réalité.

Je pense que ça ne va pas durer mais, aujourd’hui, il est difficile d’être critique vis-à-vis de cette intervention sans être accusé d’indifférence, de complicité ou de cynisme. (...)

On n’élimine pas une dictature, on n’arrête pas une guerre civile avec des bombardements, si bien ajustés soient-ils. Mais à l’heure qu’il est, ce travail de critique est difficile, tant l’émotion est forte. (...)

A partir du moment où la menace contre les civils c’est la dictature, les protéger, c’est se débarrasser de la dictature. La « responsabilité de protéger », pour reprendre le terme consacré par l’ONU, ça veut concrètement dire changement de régime. Je critique cette position des Nations unies depuis le début, car elle reprend l’esprit du « droit d’ingérence », comme ne cesse de le rappeler à juste titre Bernard Kouchner. C’est la version moderne de la « guerre juste » : il s’agit de chasser un souverain criminel pour le remplacer par un souverain décent, c’est-à-dire qui règne avec des méthodes démocratiques. Cet objectif, auquel je souscris bien sûr, est inatteignable par des bombardements. (...)

Je suis convaincu que le mouvement de contestation des dictatures corrompues et violentes est très profond. Il part des tréfonds des sociétés, de l’évolution démographique, du statut des femmes, de l’alphabétisation et de tout ce qui permet une émancipation individuelle et la possibilité de se dresser contre les pouvoirs en place. C’est ce mouvement de fond-là qui peut mettre à bas les dictatures. Toute intervention extérieure dépouille ces mouvements de leur légitimité démocratique. (...)

C’est une règle historique vérifiée depuis Napoléon : on cherche à installer la république de l’extérieur, par les armes, et on ne produit que du nationalisme et de la haine.

Ou alors, on coupe le pays en deux, et que fait-on alors ? (...)

nous devons accepter le fait de n’être pas tout-puissants, et qu’il y ait des limites à ce que nous pouvons faire. Cela ne veut pas dire que rien n’est faisable : pressions diplomatiques et financières, mesures de rétorsions (embargo portuaire, blocage des lignes maritimes et aériennes pour empêcher la mobilisation de mercenaires par exemple), et puis également soutien à l’insurrection grâce à des conseils, des transferts d’informations ou des équipements militaires adéquats. (...)

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