
Le commissaire David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale, ignore les recherches sociologiques sur le racisme dans la police, défend la thèse d’un « complot médiatique et politique » et me somme de l’éclairer. Je m’y emploie ici.
Secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale, le commissaire David Le Bars, était interrogé le 5 juin dernier sur le site francetvinfo, à propos d’un échange que j’avais eu avec une journaliste du même site. La question adressée à M. Le Bars était celle-ci : « Fabien Jobard, chercheur du CNRS et spécialiste des questions de justice et de police, a déclaré sur franceinfo que "dans la police on n’est pas raciste, on le devient". Qu’en pensez-vous ? » La réponse de M. Le Bars a claqué : « M. Jobard, on le connaît ». A cette affirmation pour le moins comminatoire, M. le commissaire ajoutait : « Moi je demande à ce sociologue de nous donner des études qui nous permettent de prouver ce qu’il affirme, j’en suis moi-même choqué ». Puis il expliqua que la discussion actuelle autour du racisme policier est « un complot médiatique et politique ».
M. Le Bars ignore donc la sociologie de la police, ce qui ne manque pas d’étonner de la part d’un fonctionnaire de ce rang (j’y reviendrai). Je partage ici volontiers quelques connaissances acquises en France autour de ces sujets. (...)
Dans toutes les enquêtes, les jeunes noirs et maghrébins sont ceux qui sont, et de loin, les plus sur-contrôlés, et ils disent bien plus souvent que les autres être visés par des contrôles accompagnés de propos insultants ou dévalorisants. Les contrôles d’identité sont-ils constitutifs d’un « racisme policier » ? Les policiers obéissent dans ce cadre aux réquisitions du procureur de la République (que leur hiérarchie, toutefois, sollicite). Ces contrôles répétés, parce qu’ils sont bien plus fréquents en France qu’ailleurs en Europe et parce qu’ils portent en particulier sur les jeunes hommes minoritaires, finissent par naturaliser les stéréotypes. On en revient à : "dans la police, on ne naît pas raciste, on le devient". (...)
Le Bars avance un argument au cours de son entretien sur francetvinfo : la police est aujourd’hui à l’image de la population. Il a raison de le souligner : depuis les dispositions Chevènement à la fin des années 1990, la police s’est bien plus ouverte aux diverses origines et la police de Seine-St-Denis ou de Paris est une police diverse, colorée, féminisée. Nous l’avons nous aussi maintes fois souligné, par exemple dans l’ouvrage publié avec Jacques de Maillard, Sociologie de la police (2015), aux éditions Armand Colin, dont je recommande la lecture à M. Le Bars. (...)
Par ces indications bien sûr un peu rapides, j’espère avoir répondu à la volonté de savoir que M. Le Bars a manifestée. Ces recherches et, j’espère, ces lectures aideront à comprendre que le « racisme policier » est un problème profond, complexe, irréductible aux fonctionnaires ni à leurs chefs, mais qui appelle de leurs chefs, justement, lectures et réflexions. (...)
Il est facile d’opposer « l’homme de terrain » au « chercheur dans sa tour d’ivoire », mais cela diffuse une image erronée des deux métiers. Et pour penser un problème aussi lourd que celui du racisme policier, pour se donner les moyens de le traiter, mieux vaut ne pas se réfugier derrière la facilité, le déni ou l’ignorance.