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Quel est le sens du travail dans la société moderne ?
#travail #modernité #individu #philosophie
Article mis en ligne le 3 mars 2023
dernière modification le 2 mars 2023

Une histoire philosophique du travail utile pour resituer la différence entre conception antique et conception moderne du travail et mieux saisir l’origine et la portée de sa crise contemporaine

Comment ne pas voir, à travers l’ensemble des crises sociales contemporaines et des transformations qu’y rencontre le travail, le caractère central qu’il a pris dans nos sociétés ? Ces crises « prouvent que le travail reste largement conçu comme le lieu où peuvent continuer de s’inventer [mais aussi de s’éprouver ou de s’abîmer] les formes de la solidarité et de la coopération sociale. » Ainsi, pour nous, individus modernes, cette centralité, à travers les critiques mêmes dont elle fait l’objet, va de soi.

Ce que donne indirectement à voir l’histoire philosophique du travail présentée ici (parce que ce n’est pas son objet), c’est que la crise actuelle du rapport au travail plonge ses racines au plus profond de ce qui, d’une façon irrémédiablement concomitante, parce que constitutive de l’identité moderne, tient ensemble l’individu et la société. En ce sens, aucune communication politique ni encore moins aucun détournement du regard ne seront à même de l’apaiser. (...)

Philosophie antique

La question du travail dans l’Antiquité est, dans l’imaginaire moderne, indissociable de celle de l’esclavage. Toutefois, comme le rappellent les différentes contributions consacrées à cette période, on ne saurait appliquer certaines catégories d’analyses modernes du travail à ce phénomène antique sans le dénaturer.

Dans l’Antiquité, et plus particulièrement dans l’Antiquité grecque, l’esclavage représente un fait social massif. C’est d’abord sur lui que repose « la production des biens et soins nécessaires à la vie. » Dans cette structure sociale, les esclaves ne disposent pas d’une identité juridique en propre. (...)

L’esclavage grec est destiné à libérer les citoyens des tâches économiques et pratiques. Comme l’écrit Jean-Pierre Vernant : « dans ce système social et mental, l’homme agit quand il utilise les choses, non quand il les fabrique. L’idéal de l’homme libre, de l’homme actif, est d’être universellement usager, jamais producteur. » Une scission nette oppose en conséquence les hommes libres, qui représentent pourtant une minorité de la population et dont la vie est vouée aux affaires de la cité ou encore à la science, aux esclaves, dont les vies sont entièrement vouées à la production des conditions matérielles d’existence de l’ensemble de la cité. (...)

Le rapport de force n’était pas si unilatéral qu’on le présente souvent et les maîtres avaient tout intérêt à prendre soin de leurs esclaves.

Semblant se démarquer de ses contemporains et faisant preuve d’une certaine parrhésia, Epicure ouvrira la possibilité, toute théorique, pour les femmes et les esclaves de pratiquer la philosophie en tant qu’activité émancipatrice. (...)

A deux millénaires de là, on pourrait reconnaître une ruse du même genre dans la mise en avant récurrente par nos politiques d’une égalité formelle des individus et de la fiction méritocratique pour justifier de la place de chacun au sein d’un ordre social inégalitaire.

Refondation moderne (...)

pour Hegel, ni l’Etat moderne, ni les marchés « ne sont en mesure de remplir toutes les exigences de la disposition d’esprit éthique ». Ainsi, dès 1820 dans les Principes de la philosophie du droit, on peut lire ces mots dont il est à peine besoin de dire l’écho qu’ils trouvent au sein de notre actualité :

« Dans un système d’économie de marché, se mettront en place, tôt ou tard, des évolutions qui rendront impossible, pour beaucoup de citoyens, de vivre d’après leur disposition d’esprit éthique et qui conduiront en outre certains d’entre eux à une perte de cette disposition. » Certains d’entre eux seront happés par la logique de l’appât du gain pendant que d’autres, « forcés de vivre dans des conditions précaires, auront tendance à développer une rage contre les riches, contre la société, contre le gouvernement. » (...)