Certains le disent terminé. Où en est le mouvement Occupy ? Parti de New York à l’automne 2011, il s’est étendu à l’Amérique du Nord, et a essaimé en Europe. En quelques mois, Occupy a permis à des centaines de milliers de personnes de se politiser et de prendre conscience de l’ampleur des inégalités sociales et de la domination économique : les « 1% » d’ultra privilégiés face à la « multitude » des 99%. Si les tentes ont disparu de l’espace public, « l’esprit d’Occupy alimente les mobilisations contre le changement climatique, la dette ou le mal-logement », assure Maria Poblet, membre du mouvement aux Etats-Unis. Entretien.
Occupy Wall Street a été un espace d’exaltation et de créativité. A bien des égards, il s’est traduit par une mobilisation inventive, relativement longue, qui a créé une « pause » psychologique inspirante face au capitalisme dans la société américaine. Cette mobilisation spontanée a mobilisé des gens nouveaux, elle a changé le débat public aux États-Unis.
Le mouvement Occupy ne constitue pas pour autant un ensemble unique et cohérent. Les différentes initiatives qui en sont issues sont liées par une critique partagée du système économique, mais pas par des formes organisationnelles fortes ou des alliances à long terme. Aujourd’hui, les personnes et organisations qui se sont sérieusement engagées pour la justice économique au-travers d’Occupy Wall Street demeurent encore très actives. Elles travaillent à façonner les prochaines initiatives qui pourront contribuer à bâtir un mouvement de transformation « bottom-up » (de bas en haut, ndlr) dans la société américaine (...)
Ces nouveaux militants, jeunes pour la plupart, côtoient des vétérans des droits civiques et des mouvements anti-guerre des années 60 et 70. Le mouvement compte aussi des syndicalistes, impliqués à titre individuel et soucieux pour certains de construire des coopérations organisationnelles avec les militants d’Occupy. (...)
Face à l’échec du système démocratique électoral, la réponse naturelle serait de rejeter entièrement ce système. Mais se désengager des structures existantes de prise de décision revient à laisser toujours plus de place à la droite et aux forces réactionnaires. Notre défi est de travailler avec les structures et institutions existantes pour obtenir des réformes immédiates, renforcer le pouvoir de la gauche, et faire progresser le mouvement à long terme. Pour obtenir des résultats, et impliquer davantage les gens dans la réalisation du changement, nous devons donc nous engager dans le système électoral, aussi défectueux soit-il. Cela nous obligera à mettre en avant des revendications audacieuses pour une transformation en profondeur, combinées à des changements concrets à court terme. Le danger, c’est d’être récupéré par des forces politiques qui se satisferaient volontiers de changements esthétiques laissant intacts les fondements du système et de la crise économique. (...)
il faut garder en mémoire que les 1 % ont déjà leurs forums internationaux à l’instar du Forum économique mondial de Davos. Les 99 % ont aussi besoin de construire leur propre forme d’organisation internationale. (...)
La crise économique est internationale. Toute campagne au niveau local est liée au système économique international. En même temps, sans travail ancré sur le terrain avec les populations états-uniennes, nous ne pouvons pas être réellement solidaires avec d’autres mouvements. Mais la construction de groupes locaux et l’organisation de campagnes au niveau local est également insuffisante en soi. L’absence de forme organisationnelle internationale a rendu difficile le maintien des relations de solidarité que les groupes Occupy ont construit entre eux, et avec les mouvements émergents dans le reste du monde. Dans l’ensemble, le mouvement aux Etats-Unis est trop américano-centré. Discuter de la façon dont le capitalisme a échoué aux États-Unis sans regarder comment les Etats-Unis ont créé et exporté le modèle économique défaillant du néolibéralisme est une erreur.