
Le titre est accrocheur, un bandeau rouge sur la couverture présente "une profession au bord de l’explosion" : le lecteur pourrait craindre un ouvrage sensationnaliste. Il s’agit en réalité d’un constat posé et étayé permettant de mieux comprendre le quotidien du métier de policier, l’organisation de cette profession et les enjeux de certains sujets d’actualité comme celui de la politique du chiffre ou, plus récemment, l’abandon par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, du projet de créer des récépissés en cas de contrôle d’identité pour lutter contre "le délit de faciès".
Le déni de la souffrance au travail des policiers
Aujourd’hui psychologue du travail, Nadège Guidou s’est intéressée, dès ses premiers travaux de recherche universitaire, au métier de policier et à la question des souffrances au travail. Elle présente le livre qu’elle publie aujourd’hui comme le fruit des recherches menées pour sa thèse, financée par l’École nationale supérieure de la police (ENSP), sur les risques psychosociaux au sein de la police nationale. (...)
l’exposition à la souffrance n’est pas un phénomène nouveau. Ce qui l’est davantage, c’est tout d’abord l’augmentation des violences verbales et physiques contre les forces de l’ordre. Face à ces menaces, les policiers adoptent une position d’hyper-vigilance constante dont les conséquences sur la santé physique et psychique peuvent être graves : irritabilité, "boule au ventre", insomnie, crise d’angoisse, voire à long terme, sous l’effet de la fatigue, atteintes aux défenses immunitaires et aux capacités cognitives.
La politique du chiffre est aussi une autre nouveauté dans le travail des policiers. L’auteur ne se fait pas seulement l’écho des critiques des policiers à l’encontre de cette politique, elle analyse les mécanismes psychologiques qui la rendent nuisibles. Réduisant le pouvoir d’agir des policiers, elle conduit en effet à un sentiment de perte du sens du travail et à un désinvestissement progressif ou "processus d’aliénation" 4. Déstructurante pour tout individu, dans le cas des policiers, la perte du sens du travail est aussi un enjeu collectif puisqu’elle rompt le lien avec une population que les policiers ont pou mission de protéger. (...)
C’est là le cœur de l’ouvrage. Réaction à l’explication des souffrances au travail par les seules fragilités personnelles, la thèse de l’auteur et de la psychologie du travail est en effet celle du rôle essentiel de l’organisation du travail dans le mal-être des salariés. (...)
Confrontés à la souffrance, les policiers développent des mécanismes de défense : demande de mutation non pas pour un poste hiérarchiquement supérieur mais pour un poste de même niveau dans un commissariat plus calme mais aussi, au sein d’un commissariat, alcoolisation ou culte de la virilité qui peut passer par le harcèlement moral des faibles, renforçant alors le déni collectif de souffrance au travail. Le constat est loin d’être rassurant. (...)
À la fin de l’ouvrage, l’auteur énumère "10 propositions pour améliorer le travail et la santé des policiers". Elle part d’un postulat qui suppose un renversement de la vision de l’homme dans cette institution (...)