Plusieurs incendies qui consument une partie de l’Amazonie ont été revendiqués par de gros propriétaires terriens brésiliens, en soutien à Bolsonaro et à leur « droit » à détruire la forêt. Une situation facilitée par les attaques contre les défenseurs de l’environnement, encouragées depuis la prise de pouvoir du dirigeant d’extrême-droite. Mais aussi par les clients achetant viandes et soja brésilien, dont la France. Décryptage.
la densité des colonnes de fumées repérées par les photos satellites s’expliquerait par l’utilisation importante de carburants, aspergés dans les zones de départ de feux, dans le but de créer un incendie assez puissant pour se propager dans la forêt tropicale humide. Une dizaine de jours plus tard, les image de la forêt amazonienne en flammes font le tour du monde, suscitant une grande émotion, provoquant même un incident diplomatique entre le président français Emmanuel Macron et son homologue brésilien.
Les autorités brésiliennes étaient au courant de la préparation de ce « jour de feu », révèlent également les journalistes de Globo Rural. Le 7 août, soit trois jours avant son déclenchement, le ministère public fédéral – les magistrats qui agissent au nom de l’État fédéral – alerte les services du ministère de l’Environnement : « La manifestation des producteurs ruraux, si elle est réalisée, entraînera de graves violations de l’environnement pouvant même échapper à tout contrôle et empêcher l’identification de leur responsabilité individuelle et collective », prévient l’institution. Le responsable local de l’Ibama, l’équivalent de l’Office national des forêts, leur répond qu’ils ne sont pas en mesure d’intervenir, à cause de trop grands « risques pour la sécurité » de leurs équipes sur le terrain. Les inspecteurs de l’Ibama ont d’ailleurs demandé « l’appui de forces de sécurité nationale » pour se rendre sur place [2]. La demande a été ignorée par le ministre de la Justice, Sergio Moro. Rien ne sera donc fait pour empêcher les pyromanes de passer à l’action. (...)
Quant au ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, son CV laisse perplexe. Il a été condamné, en décembre 2018, pour fraude… environnementale. Alors qu’il était en poste au sein de l’État de São Paulo, il aurait favorisé l’implantation d’industries minières dans des zones protégées (l’affaire sera rejugée en appel). Il fait aussi l’objet d’une enquête lancée en juillet pour enrichissement illicite. Sa fortune personnelle a plus que triplé en cinq ans.
En tant que ministre, il a à plusieurs reprises menacé des fonctionnaires travaillant pour les agences environnementales et affaibli les espaces consultatifs où siègent les organisation non gouvernementales. (...)
57 défenseurs de l’environnement tués au Brésil en 2017
La zone autour de la ville de Novo Progresso (« Nouveau Progrès »...) est, comme d’autres « zones frontières », particulièrement dangereuses pour les défenseurs de l’environnement ou les fonctionnaires chargés de lutter contre la déforestation illégale. (...)
Dans l’esprit des propriétaires terriens, les éleveurs, les orpailleurs ou les bûcherons qui avancent dans l’Amazonie le long des routes fédérales, la forêt ne sert à rien. Elle serait aussi inutile que les communautés autochtones qui y habitent. Une fois ses ressources en bois exploitées, elle doit être rasée pour laisser la place à des activités plus « productives » et lucratives : l’élevage de bœufs et la culture de soja. (...)
Selon un rapport du ministère public fédéral, l’élevage bovin occupe 80% de la superficie déboisée de la région. (...)
Près d’un steak haché surgelé sur cinq élaboré en France sort aujourd’hui de son site de Fleury-les-Aubrais » en périphérie d’Orléans, communique Moy Park. L’entreprise assure se fournir en viande exclusivement en France et en Europe. (...)
Les élevages de bœufs fournissent aussi du cuir. Plusieurs marques textiles – comme Timberland ou The North Face – ont d’ailleurs annoncé qu’elles envisageaient de boycotter la filière brésilienne. (...)
Le « boom » du soja commence ainsi à sérieusement grignoter la forêt. (...)
Ce soja « pirate » issu de la déforestation illégale a notamment été exporté vers la Norvège pour nourrir des saumons d’élevage.
Le Brésil premier fournisseur de soja à la France (...)
Du côté de la grande distribution et des grands groupes français, rares sont ceux qui cherchent à savoir si le soja brésilien qu’ils achètent provient, ou non, de la déforestation illégale. Seuls Carrefour, Danone ou le groupe laitier Bel disent commencer à y être vigilants, selon le rapport publié en mars dernier par trois organisations non gouvernementales (Mighty Earth, France nature environnement et Sherpa). (...)
Au regard des projets du gouvernement de Bolsonaro pour industrialiser l’Amazonie, tout cela n’est sans doute que le début. Selon les documents révélés par le site OpenDemocracy, Bolsonaro et son gouvernement projettent de prolonger, via un pont géant sur le fleuve Amazone, la route BR163 bien plus au nord, cette fois dans des zone vierges de toute activité humaine, en dehors des peuples autochtones qui y habitent. Les communautés, les organisations de la société civile ou les élus qui s’opposeront à ces projets seront considérés comme des ennemis intérieurs. On comprend pourquoi, le 21 août, le président Bolsonaro, sans aucune preuve ni citer leurs noms, a accusé les « ONG » d’avoir elles-mêmes mis le feu à l’Amazonie, pour « attirer l’attention contre moi, contre le gouvernement du Brésil ».