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Mediapart
Procès UBS : le spectaculaire revirement de la cour d’appel
Article mis en ligne le 14 décembre 2021

La cour d’appel de Paris a considérablement réduit la sanction d’UBS poursuivie pour « complicité de fraude fiscale aggravée », en ramenant la peine de 4,5 à 1,8 milliard d’euros. Le jugement repose sur un raisonnement bancal qui pourrait torpiller toute poursuite contre la fraude fiscale.

C’était le pari d’UBS et il a réussi, peut-être au-delà de ses espérances. Poursuivie pour « complicité de fraude fiscale aggravée » et « démarchage bancaire illicite », la banque suisse est parvenue en appel à retourner la décision. La cour d’appel de Paris, qui avait reporté son jugement de trois mois, a condamné le 13 décembre l’institution financière suisse à payer à une amende de… 3,75 millions d’euros. Cette amende est assortie de la confiscation d’un milliard d’euros déjà déposé en caution, et de 800 millions d’euros de dommages et intérêts.

1,8 milliard d’amende au total, c’est la plus lourde sanction infligée à un établissement bancaire par la justice française. Pourtant ce jugement de la cour d’appel a surpris, tant il prend le contre-pied de celui fixé en première instance. (...)

En février 2019, au terme d’un procès historique, qui avait mis à nu tous les dispositifs d’UBS et de sa filiale française pour démarcher les riches clients français et les inciter à placer en secret leurs avoirs en Suisse à l’abri de toute imposition fiscale, les juges avaient condamné la banque suisse à une sanction de 4,5 milliards d’euros, dont 3,7 millions d’amende et 800 millions d’euros de dommages et intérêts à verser à l’État français. Jamais sanction aussi élevée n’avait été prononcée en France dans une affaire de fraude fiscale.

Le jugement de la cour d’appel est aussi très clément par rapport aux réquisitions du parquet et des parties civiles. Lors du procès en appel, il avait été beaucoup question du changement de jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci avait décidé de changer la base de calcul pour la fraude fiscale. (...)

De 4,5 milliards d’euros, la sanction contre UBS devait tomber autour de 3 milliards d’euros. C’est en tout cas ce que tout le monde attendait.

Comment expliquer alors que la cour d’appel ait retenu une somme plus faible ? L’amende prévue par le droit français en cas de « blanchiment aggravé de fraude fiscale » par une personne morale est fixée à 2,5 fois le montant de la fraude fiscale démontrée. Dans le cas d’UBS, sa culpabilité a été démontrée et même confirmée par la cour d’appel. (...)

Mais celle-ci estime que les éléments recueillis durant le procès ne lui ont pas permis de calculer le montant total de l’amende. En d’autres termes, tout le travail des juges d’instruction, des enquêteurs du fisc, toutes les révélations apportées par les lanceurs d’alerte sur les pratiques d’UBS, sur les « carnets de lait » n’ont pas suffi pour permettre d’évaluer l’ampleur de la fraude fiscale commise par UBS, selon la cour d’appel.

Elle semble ainsi donner raison aux responsables et aux défenseurs d’UBS qui n’ont cessé de clamer tout au long des procès qu’il n’y avait pas de preuve, que la matérialité des fraudes qui leur étaient reprochées n’était pas fondée.

Tout en estimant qu’elle ne pouvait pas évaluer la fraude mais qu’en même temps elle ne pouvait pas ramener la sanction d’UBS à un niveau ridicule, la cour d’appel en est arrivée par un cheminement alambiqué, voire incompréhensible, à prononcer en plus de l’amende des 3,75 millions d’euros la confiscation de la somme du milliard déposée en caution à la demande du parquet national financier au début de l’enquête en 2014.

Tout cela permet de sauver la face. Condamnée à payer au total 1,8 milliard d’euros, UBS se voit toujours infliger une des sanctions les plus élevées pour fraude fiscale. Celle-ci correspond au double de l’amende infligée par les autorités américaines contre UBS poursuivie aussi pour fraude fiscale.

Les avocats d’UBS n’ont pas manqué de pointer, dès la sortie de l’audience, la fragilité du jugement, en soulignant le caractère bancal de la confiscation du milliard ordonné par la cour d’appel. Cela peut apporter tous les arguments pour amener la cour de cassation à revenir sur le jugement et supprimer toute sanction.Les défenseurs de la banque suisse disent d’ailleurs réfléchir à se pourvoir en cassation. Ils ont cinq jours pour le faire. (...)

Pour la banque suisse, il s’agit non seulement de laver la tache d’une condamnation judiciaire pour fraude fiscale, ce qu’elle était parvenue à éviter jusque-là, mais aussi de casser toutes les velléités étatiques de contrôle : l’accord sur les échanges automatiques de renseignement en matière fiscale est censé prévenir désormais toutes les fraudes.

La justice française démontre une nouvelle fois le peu de cas qu’elle porte à la délinquance financière en général et à l’évasion fiscale en particulier . (...)