
Alors que les péages augmentent à nouveau, le rapport de l’Inspection générale des finances, révélé par « Le Canard enchaîné », remet en lumière la rente exorbitante des autoroutes concédées au privé. Une situation héritée des choix faits en 2015 notamment par Emmanuel Macron et Élisabeth Borne.
(...) Entre l’augmentation de 15 % des tarifs de l’électricité, la diminution des allocations chômage, entrant en vigueur le 1er février, la hausse de 4,75 % en moyenne des tarifs des péages dans ce moment d’inflation galopante allait peut-être ne pas être repérée. Car au moment où il défend la désindexation des salaires pour éviter la fameuse spirale inflationniste salaires-prix, comment justifier la boucle prix-profits ?
Le rapport de l’Inspection générale des finances, révélé par Le Canard enchaîné le 25 janvier, lui a fait perdre tout espoir : le sujet de la privatisation des autoroutes est revenu sur le devant de la scène. Pour certains membres de l’exécutif, à commencer par Emmanuel Macron, Élisabeth Borne, Alexis Kohler, cela a même un effet boomerang. La situation actuelle découle directement des choix qu’ils ont faits en 2015. À l’époque, ce sont eux, contre la volonté des responsables parlementaires qui voulaient renationaliser les autoroutes, qui ont supervisé les contrats signés avec les sociétés concessionnaires , leur accordant des droits et des privilèges exorbitants, et organisant délibérément l’impuissance de l’État face aux intérêts privés. (...)
C’est une privatisation qui ne passe pas. Et plus le temps passe, plus il y a consensus pour dénoncer cette vente des autoroutes au privé. Mais cette fois, c’est l’Inspection générale des finances qui le dit (...)
Jamais le ministère des finances n’était allé aussi loin dans la critique de ses choix passés, jusqu’à préconiser un retour en arrière. On comprend l’embarras du ministre des finances et son désir de tenir ce rapport secret. (...)
Des marges dignes du luxe
Empêtré dans la polémique, le gouvernement tente par tous les moyens d’enterrer le sujet. (...)
Malgré le ton distant, l’autorité paraît stupéfaite par les résultats qu’elle publie. Car ils sont hors norme. Touchées comme tous les autres secteurs de l’économie par la crise sanitaire en 2020, les sociétés autoroutières ont effacé les séquelles de cet arrêt dès l’année suivante. En 2021, elles ont réalisé dans leur ensemble un chiffre d’affaires de 10,3 milliards d’euros, retrouvant leur niveau de 2019.
Mais la suite est encore plus étonnante : ces concessionnaires réalisent des bénéfices exorbitants . (...)
Ces contrats secrets qui leur assurent l’impunité (...)
Depuis 2017, elles ont obtenu un plafonnement de certaines taxes d’occupation du territoire, une baisse de l’impôt sur les sociétés, des aides et des subventions de toute nature pour les accompagner, sans parler des déductions de tous les frais financiers qui les ont amenées à se décapitaliser pendant des années afin de minorer leurs impôts . (...)
Ils ont donc engagé des recours devant les tribunaux administratifs pour contester la taxe exceptionnelle demandée par l’État. Ils ont le droit pour eux, expliquent-ils, grâce aux contrats négociés dans le secret en 2015 sous l’égide d’Élisabeth Borne, alors directrice de cabinet de Ségolène Royal et d’Alexis Kohler, alors directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, que l’État n’a jamais voulu rendre publics et révélés par la suite par Mediapart.
À la suite du gel des tarifs des péages ordonnés par Ségolène Royal, les sociétés concessionnaires ont obtenu un allongement de leurs concessions de deux à cinq ans, en contrepartie de 3,2 milliards d’euros de travaux supplémentaires. Profitant de leur position de force, elles arrachent même dans les négociations une nouvelle indexation tarifaire, très avantageuse pour leurs intérêts, et des exemptions hors du droit commun. Ainsi, toute modification de la fiscalité en leur défaveur ne peut pas être appliquée. De même, toute disposition qui pourrait changer les termes des contrats doit donner lieu à compensation, selon les termes de l’accord, afin « d’assurer, dans le respect du service public, les conditions économiques et financières » des contrats.
Comment les services juridiques de Bercy et plus encore les magistrats du Conseil d’État ont-ils pu accepter de telles clauses ? L’Autorité de régulation des transports n’a même pas été consultée dans le cadre de ces négociations. Et elle ignorait tout de la teneur de ces contrats avant que nous les rendions publics. Ce simple fait dit tout de la puissance de contrôle et de régulation de cette autorité : elle est proche du néant. Elle n’a aucune prise sur les sociétés concessionnaires. (...)
Rente perpétuelle
Ayant accepté d’être pieds et poings liés, l’État se retrouve sans aucune marge de manœuvre face à la toute-puissance de Vinci et Eiffage qui mènent le combat en avant-garde. Pour eux, les hausses des tarifs des péages sont non négociables (...)
À la suite de la révélation du rapport de l’Inspection générale des finances publiques, de nouvelles voix se sont élevées dans les rangs du Parlement pour demander la renationalisation des autoroutes, comme le permet la loi au nom de l’intérêt général. Une suggestion impossible à mettre en œuvre, a insisté Christophe Béchu le 31 janvier à l’Assemblée nationale. La mesure coûterait trop cher pour les finances publiques, selon lui. Résumant la position du gouvernement, il préfère attendre sagement l’extinction des concessions sans rien faire.
Au vu de la longueur de la durée des concessions, cela revient à accorder une rente quasi perpétuelle aux concessionnaires privés. (...)
La plus longue, celle Cofiroute Duplex consentie en 1999, se terminera en 2086.
C’est autant de moins pour la transition écologique. Car tous ces milliards dégagés par les péages autoroutiers auraient pu servir, comme cela avait été conçu à l’origine, à financer l’entretien et le renouvellement des réseaux ferroviaires, le développement du fret et des transports en commun, indispensables pour lutter contre les dérèglements climatiques. Cela aurait pu… Mais le gouvernement préfère défendre la rente privée.