
Les présidents français et algérien promettent de « réconcilier » les mémoires meurtries par la colonisation et la guerre. Mais Emmanuel Macron peut-il être crédible dans sa démarche, à l’heure même où il légitime les traditionnelles obsessions identitaires françaises ? On en parle avec l’historien Benjamin Stora, missionné par l’Élysée pour relever le défi mémoriel.
« Apaiser », « réconcilier » les mémoires endolories par les décennies de colonisation et les années de guerre. Tel est le défi mémoriel inédit, et a priori impossible quand on connaît le poids de l’histoire entre la France et l’Algérie, que se sont lancé les présidents français et algérien de part et d’autre de la Méditerranée. Manœuvre présidentielle dilatoire ou démarche sincère ?
En France, c’est l’historien Benjamin Stora, l’un des principaux spécialistes de l’Algérie, qui a été choisi le 24 juillet par le président français Emmanuel Macron pour « dresser un état des lieux du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » en vue de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien », dit la lettre de mission. (...)
De son côté, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a nommé Abdelmadjid Chikhi, l’inamovible directeur général des archives algériennes, pour mener « un travail de vérité entre les deux pays ». Chikhi est un haut fonctionnaire connu pour verrouiller l’accès des archives aux chercheurs, un cacique du FLN, le parti libérateur devenu la courroie de transmission d’un pouvoir gérontocratique.
Sa nomination passe mal en Algérie. (...)
Benjamin Stora, lui, essuie les critiques, à commencer par celle d’être « l’historien officiel d’Emmanuel Macron », et il assume de mener une telle mission, seul dans son coin, sans le concours des nombreux confrères et consœurs qui travaillent sur le sujet. (...)
Pour Benjamin Stora, dire qu’il est « l’historien officiel » de Macron et de ses prédécesseurs, un abonné aux cercles de pouvoir – « je les ai tous rencontrés pour mes travaux, Mitterrand, Chirac, même Sarkozy » –, c’est reprendre l’antienne de l’extrême droite. Il rappelle que c’était d’ailleurs le titre d’un article de cinq pages que lui a consacré l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles en octobre 2019 dans un de ses marronniers, un hors-série consacré à l’Algérie française. (...)
Pour Benjamin Stora, dire qu’il est « l’historien officiel » de Macron et de ses prédécesseurs, un abonné aux cercles de pouvoir – « je les ai tous rencontrés pour mes travaux, Mitterrand, Chirac, même Sarkozy » –, c’est reprendre l’antienne de l’extrême droite. Il rappelle que c’était d’ailleurs le titre d’un article de cinq pages que lui a consacré l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles en octobre 2019 dans un de ses marronniers, un hors-série consacré à l’Algérie française. (...)
« Quand on fait un rapport comme celui-ci, c’est tout seul, explique-t-il. On ne le fait pas avec des collègues. En revanche, on le fait avec les associations, par exemple celle des réfractaires à la guerre en Algérie qui reversent leur pension aux Algériens, ou encore le comité Audin. Ce qui m’intéresse, c’est le point de vue des acteurs, les harkis, les pieds-noirs, les Algériens, les officiers de l’armée française, etc. Bien sûr que je rencontre des historiens, mais je ne prépare pas un colloque. À 70 ans, je ne vais pas soutenir une énième thèse. C’est une réflexion d’un homme engagé qui a traversé 40 ans d’histoire franco-algérienne, un historien qui a travaillé sur le plan universitaire entre les deux rives et qui est aussi un acteur né en Algérie. »
Un argument que certains chercheurs, sous le couvert de l’anonymat, entendent. (...)
D’autres voient dans l’acceptation de cette mission la validation « d’une problématique bidon » (...)
S’il assume de mener la mission seul côté français, Benjamin Stora ne travaillera pas non plus main dans la main avec son homologue algérien ni avec une quelconque commission mixte entre les deux rives. « J’ai appelé Abdelmadjid Chikhi après ma nomination. Il m’a dit qu’il entendait travailler seul et que nous harmoniserions à la fin nos points de vue. » (...)
Son rapport est quasiment terminé. Il y fait l’inventaire « de ce qui a été fait et de ce qui n’a pas été fait ». « J’ai été frappé par le grand nombre d’associations qui ont demandé à me rencontrer depuis que cette mission est connue (...)
Benjamin Stora entend saisir le président Macron sur deux problématiques décisives qui mobilisent depuis des années la communauté chercheuse : la question des archives, devenue intenable tant en France qu’en Algérie, à la suite de divers obstacles, et celle des disparus de la guerre d’Algérie (voir à ce sujet le travail remarquable que mènent les historiens de l’association Histoire coloniale et post-coloniale à travers le site 1000autres.org). (...)
Comment écrire et débattre de l’histoire quand les archives ne sont pas accessibles ? (...)
Après avoir déclaré pendant la campagne présidentielle de 2017 que la colonisation était « un crime contre l’humanité », pour ne plus en parler ensuite, Emmanuel Macron a reconnu, une fois élu, la responsabilité de l’État français dans l’assassinat du militant communiste Maurice Audin. Il a dans le même temps admis le recours systémique à la torture pendant la guerre d’Algérie. (...)
« Emmanuel Macron fait preuve d’un volontarisme fort en matière de relations franco-algériennes […]. Il doit y avoir des questions d’intérêts et d’impératifs de politique extérieure mais pas seulement. Il faut aussi prendre en compte qu’en France, depuis les années 1990-2000, les présidents de la République se sont engagés sur le terrain mémoriel et prennent de plus en plus au sérieux les politiques publiques à mettre en œuvre en la matière. Emmanuel Macron s’inscrit dans cette tendance. Il la renforce cependant, s’implique plus, me semble-t-il, que ces prédécesseurs », analyse l’historienne française Sylvie Thénault dans un entretien au site algérien Algériecultures.
Tout en prenant ses distances avec l’idée de « réconciliation » (...)
Emmanuel Macron tient, lui, à « la réconciliation ». Mais peut-on être un président crédible quand on dit : « Moi je veux réconcilier la France et l’Algérie, apaiser les mémoires endolories, concurrentes » sur la scène internationale et quand, « en même temps », on est le chef de file d’un gouvernement de pompiers pyromanes qui fracture la société française en ressortant des bas-fonds la sémantique incendiaire des temps coloniaux, en continuant de violenter une partie de la société, celle qui descend d’anciens colonisés, en l’accusant d’« ensauvagement », de « séparatisme » ? (...)
Benjamin Stora regrette qu’aucun parti politique français, même à gauche, ne soutienne sa mission dans un pays où des millions de personnes sont pourtant directement concernées par l’histoire franco-algérienne (...)
Les obsessions identitaires françaises révèlent pourtant combien l’histoire franco-algérienne hante les débats et nourrit les pires fantasmes de la France contemporaine sur l’immigration, l’islam, le voile, les banlieues, la citoyenneté, l’identité française. (...)
Il appelle à mener « la bataille culturelle, même si elle est très difficile » (...)