
Depuis cinq ans, les Grecs ont été accusés de nombreux maux : des clichés distillés dans certains médias et par plusieurs dirigeants politiques européens, notamment Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances. Alors que les Grecs ont répondu « non » à plus de 60% aux conditions posées par la Commission européenne et le FMI, Basta ! a choisi de les faire réagir à ces idées reçues. Qu’ils aient voté oui ou non au référendum du 5 juillet, ils témoignent tous de la brutalité des politiques d’austérité et, pour la plupart, de leur attachement à l’idée européenne. Reportage à Athènes.
(... ( En mars dernier, Attac a dressé une liste de clichés sur la Grèce, en y apportant des réponses économiques argumentées. L’expérience de ceux qui ont subi cinq ans de coupes budgétaires, de baisses de salaires (37% en moyenne selon le ministre de l’Economie Yanis Varoufakis) contribue aussi à relativiser ces idées reçues. Nous en avons soumis quelques unes à des Grecs de tous horizons (...)
Le budget de la santé en diminution de 40%
On leur a dit que l’Europe était là pour les aider, et que l’austérité ne tuait pas. Pourtant, le taux de suicide a explosé en Grèce et diverses pathologies – tuberculose, syphilis, Sida, paludisme, mortalité infantile – ont fait leur retour ou prospéré. Dans le même temps, le budget de la santé a diminué de 40%. L’enveloppe consacrée à l’hôpital Evangelismos, le plus grand d’Athènes, est passée de 156 à 72 millions d’euros en cinq ans.
Vicky, médecin spécialisée dans les biopsies, a fait les frais de ces coupes budgétaires : l’hôpital où elle travaillait n’a pas renouvelé son contrat. Elle attend depuis deux ans d’être réaffectée ailleurs, sans que le ministère ne donne signe de vie. « 20 000 médecins ont émigré ailleurs en Europe », souligne la jeune femme en agitant un drapeau grec, dans la manifestation de vendredi pour le “oui” au référendum devant le stade Kallimarmaro d’Athènes (lire à ce propos notre enquête en Allemagne). Elle craint par-dessus tout une sortie de l’euro et de l’Union. « Notre situation ressemblerait à celle du pire pays africain », renchérit l’homme qui l’accompagne.
L’Europe, une « union politique solidaire » ?
Pavlina, 59 ans, logisticienne en milieu hospitalier, participe aussi à la manifestation. Elle blâme plutôt les gouvernements grecs successifs, qui « n’ont pas joué leur rôle correctement », que l’UE : « On est mieux en Europe que sans l’Europe. » Un libraire rencontré la veille se demande « de quelle Europe on parle ». Déçu par « l’Europe de la finance, pour faire vite », il rappelle que l’ambition initiale de cette « union politique solidaire » consistait à « favoriser le développement social et économique ». « Et éviter la guerre ! », ajoute la gérante de la librairie, avant de confier ses difficultés.
« J’ai le sens de l’effort et je suis convaincue qu’en se serrant la ceinture, on peut arriver à quelque chose. Mais il faut savoir se battre contre des crétins qui appliquent des mesures complètement techniques sur des êtres humains. » (...)
Panagiotis Sotiris, membre du comité de coordination de la coalition d’extrême-gauche Antarsya, s’élève contre un cliché « raciste et colonialiste ». « Toutes les statistiques montrent qu’en Grèce, les heures et jours de travail sont les mêmes que dans le reste de l’Europe. » Auparavant maître de conférence en CDD à l’université d’Egée, il a lui-même perdu son emploi suites aux coupes budgétaires. « En grec, on utilise le même mot pour “la dette” et “le devoir”. Mais notre dette, notre devoir, est envers une société qui a tout souffert, envers nos enfants et le futur de ce pays, pas envers nos créditeurs. » A ses yeux, l’intervention de l’Union européenne « a été le mécanisme principal pour imposer une austérité disciplinaire et punitive ». (...)
La Grèce, laboratoire européen de l’austérité ?
Cette idée que la Grèce servirait de laboratoire aux politiques d’austérité européennes est sur toutes les lèvres. « Nous pourrions devenir une source d’inspiration pour les travailleurs de toute l’Europe », se prend à rêver Eleni, membre du très rigide KKE, le parti communiste grec. Elle gagne 750 euros par mois – un peu plus que le nouveau salaire minimum de 2012, mais moins que l’ancien – et dépense 250 euros par mois pour se rendre au travail. « Les cinq dernières années, pour nous, ont été de pire en pire. Je ne pense pas que ça change à long terme. »
La dette, beaucoup de Grecs la voient comme scandaleuse. Ils peuvent à présent s’appuyer sur les conclusions d’un audit mené par une commission parlementaire. En juin, celle-ci a rendu ses premières conclusions : une grande partie de la dette est illégale, illégitime et odieuse, selon les termes utilisés en droit international [2]. La majeure partie des aides accordées à la Grèce ont en fait servi à rembourser les banques européennes (lire aussi : Où sont passés les 200 milliards destinés au « sauvetage » de la Grèce ?). Dans ces conditions, l’obligation de rembourser perd de sa substance. (...)