
La France a fermé ses frontières au lendemain de la crise de 1973, au prétexte de protéger l’emploi. Les véritables raisons étaient surtout électoralistes. Car, en dépit des fantasmes, les immigrés ne menacent ni nos emplois, ni nos « identités », ni nos systèmes sociaux. Et tous, loin de là, ne rêvent pas de s’installer dans les pays riches. À moins qu’on continue de les y obliger en renforçant nos politiques prédatrices et sécuritaires.
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1 La circulation libre, un levier contre les égoïsmes nationaux
Ouvrir les frontières n’est pas les abolir. Depuis 1985, l’espace Schengen est un espace de libre circulation pour les habitants de l’Union européenne. Il s’agirait d’appliquer ce principe à l’échelle de la planète. Cela n’interdit pas forcément les contrôles aux points de passage en cas de nécessité. Si elle ne peut être appliquée que de manière progressive, la liberté de circulation implique celle d’installation et d’accès à l’emploi, souligne Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI). « Penser l’immigration avec cet objectif oblige à avoir une approche globale de la marche du monde. Elle devient un levier pour dépasser les égoïsmes nationaux. » L’argument n’est pas seulement idéologique. « Si elle n’est pas anticipée, cette liberté de circulation s’imposera de toute manière dans les plus mauvaises conditions », prévient le GISTI.
2 La liberté d’aller et de venir, c’est l’économie de millions d’euros
« Ouvrir les frontières aurait peutêtre pour effet de diminuer un peu le nombre de migrants installés » , estime le chercheur François Gemenne. Pour espérer un titre de séjour, ils doivent apporter la preuve de 10 ans de présence ininterrompue. S’ils étaient autorisés à aller et venir, « beaucoup rentreraient plus volontiers chez eux ». (...)
3 Ouvrir les frontières, c’est reconstruire l’Europe
Fermer les frontières n’a pas d’impact sur la quantité des flux. « C’est méconnaître totalement les réalités de la migration. Le migrant a économisé pendant des années, il part en portant les espoirs de sa famille, sa communauté. Une frontière ne va pas le faire renoncer », affirme François Gemenne. Par ailleurs, les habitants des pays pauvres sont les moins mobiles selon un rapport 2009 du programme de développement des Nations unies (PNUD). Moins de 1 % des Africains ont émigré en Europe. Ils sont plus nombreux à migrer dans un pays du Sud. Par ailleurs, les flux Nord-Sud se développent : les Portugais partent en Angola, les Espagnols en Amérique du Sud et au Maroc. (...)
En France, les études démographiques montrent que, depuis au moins le XVIIIe siècle, la population est le produit de constants mélanges, y compris extra-européens. « On serait donc bien en peine, relève Nicolas Bancel, de tracer les frontières d’un “substrat biologique” français. » Se préoccuper d’une hypothétique identité, n’est-ce pas refuser de voir la société française telle qu’elle est : plurielle et en mouvement ?
4 Une solution au déficit démographique de l’Occident
L’immigration de travail est suspendue en France depuis 1974. Pour faire face à la pénurie de maind’oeuvre dans une trentaine de métiers, Nicolas Sarkozy a mis en oeuvre une politique d’« immigration choisie » en 2006. En 2013, 17 832 titres de séjour ont été délivrés à ce titre, dont 2 000 pour des emplois qualifiés. On recrute ainsi des ingénieurs, des médecins, des prêtres, des infirmiers, des footballeurs... Les immigrés viennent également « boucher les trous » dans le marché du travail via l’immigration « subie », précise François Gemenne, c’est-à-dire quand ils sont régularisés au titre du regroupement familial ou de l’asile par exemple. (...)
5 Sauvegarder notre système social et la création de richesse
Les migrants développent l’activité économique et donnent plus qu’ils ne reçoivent, affirme le PNUD. « Le marché du travail n’est pas comme un gâteau dont les parts seraient limitées. Des migrants créent aussi des entreprises et des emplois en France », relève Violaine Carrère, du GISTI. Contrairement aux idées reçues, les immigrés rapportent aux finances publiques, aux retraites et au budget de la Sécu. D’abord parce qu’ils sont plus jeunes et majoritairement actifs, ils sont donc plus « contributeurs que bénéficiaires ». (...)
6 Permettre de revoir la coopération entre le Nord et le Sud
La migration a toujours été pensée – et régulée – selon les besoins des pays d’accueil, et de leur seul point de vue. Ouvrir les frontières, c’est « penser autrement la migration, cesser les politiques prédatrices, qu’il s’agisse du pillage des ressources ou des déséquilibres environnementaux », pour le GISTI. Car l’accroissement des ressources au Nord s’est fait au détriment des pays du Sud.
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LES BONS ET LES MAUVAIS MIGRANTS !
C’est bien la première fois que la presse tout entière, « Figaro Magazine » en tête (31 octobre), prend la défense de migrants. Il faut dire qu’ils ne sont pas tout à fait comme les autres. Ce sont des réfugiés et il s’agit de chrétiens d’Orient. Assiégés par l’« État islamique » et contraints à l’exil, bien sûr, ils méritent toute notre sollicitude et doivent être accueillis. Sauf qu’on aurait aimé lire que « loin de leur terre natale, ils ont tout perdu », qu’ils essaient de se « reconstruire, ici, en famille »... s’agissant d’autres populations, comme les Roms, les Centrafricains, les Maliens, les Érythréens par exemple, fuyant persécutions et massacres. Quelle différence y a-t-il donc entre ceux qui suscitent compassion et les autres, « indésirables » ?