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Libération
« On dépossède les professionnels de leurs savoirs »
Article mis en ligne le 30 octobre 2011

Le collectif de l’Appel des appels, constitué pour lutter contre la marchandisation des services publices, de la santé à l’éducation, tient ce samedi (22 octobre) une journée de réflexion. Roland Gori, l’un de ses fondateurs, en explique les enjeux.

C’était en 2009. Après l’appel des psychiatres contre la nuit sécuritaire, Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille, lançait l’Appel des appels. Où il entendait unir tous ces métiers, tous ces signataires qui se sentaient attaquer au plus profond de leur mission par la logique néolibérale. Demain, à la bourse de travail de St Denis, il lance une journée de travail, sur le thème : « L’Amour du Métier : comment redonner ensemble de la valeur aux luttes sociales et culturelles ? » (...)

La pétition de l’Appel des appels lancée en janvier 2009 a reçu le soutien de près de 90.000 personnes, témoignant de l’inquiétude profonde des professionnels participant à la construction de l’espace public dont les métiers sont peu à peu colonisés au travers des réformes gouvernementales par les logiques et la culture du capitalisme financier. Le mouvement s’est depuis doté d’une Association nationale loi 1901 avec un bureau et un conseil moral et scientifique définissant le cap des travaux et des actions conformes à notre charte. Une vingtaine de comités locaux qui adhèrent à cette charte, et qui se sont déclarés auprès de l’Association nationale, se sont constitués en province et ont un espace réservé sur le site de l’Appel des appels.

Face à la vision néolibérale du monde, à l’extension croissante d’une religion du marché, à l’injonction politique de devoir transformer les conditions sociales et culturelles qui permettent ou interdisent leurs pratiques, les professionnels essaient ensemble de penser ce qui leur arrive. Et c’est le but de cette journée à Saint-Denis : il s’agit d’approfondir les questions sociales et ses métamorphoses, mais aussi de mobiliser des représentants de très nombreuses associations et collectifs (une trentaine) pour penser les initiatives et les dispositifs qui permettraient de « redonner de la valeur aux luttes sociales et culturelles » et de permettre cet « amour du métier » mis à mal aujourd’hui. (...)

Vous avez dénoncé la folie de l’évaluation qui envahit tout. Avez-vous le sentiment qu’elle recule ?

Non, elle ne fait que s’accroître. Il s’agit dans tous les cas d’inciter par tous les moyens matériels et symboliques à ce que les professionnels du soin, de l’éducation, de la recherche, du travail social, de la justice, de la police, de l’information, de la culture, ne puissent pas penser leurs actes autrement que sur le modèle de la marchandise, du produit financier et des services tarifés. Cette injonction à devoir concevoir les actes professionnels sur le seul modèle de la pensée néolibérale, de ses catégories symboliques et matérielles, participe à une véritable civilisation des mœurs au sein de laquelle l’humain se réduit à un « capital », un stock de ressources qui à l’instar de la nature doit être exploitée à l’infini.

Cette normalisation des pratiques propres aux sociétés de contrôle et de défiance d’allure démocratique, tend à transformer les professionnels en outils d’un pouvoir politique qui traite l’humain en instrument, en « segment technique » comme disait Jaurès. Cette civilisation des mœurs n’est pas propre à la France. Pour moi loin de reculer le champ de l’évaluation ne peut que s’étendre tant que les professionnels ne se donneront pas davantage les moyens de s’en émanciper.

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