
Interdit, l’affichage sauvage envahit les murs des villes. Outre le coût collectif élevé du nettoyage, des habitants s’indignent de l’accaparement de l’espace public. Témoignages rares : deux employés d’agence justifient cette pratique publicitaire agressive.
(...) « Je suis prêt à parier que, dans une demi-heure, des poseurs seront déjà là, soupire Alan. C’est l’éternel jeu du chat et de la souris : on décolle, ils recollent. Il y en a peut-être déjà, tout près, qui attendent juste qu’on démarre pour se mettre au boulot. » (...)
Les poseurs d’affiches sont la face visible d’un business juteux : celui des agences spécialisées dans le guérilla marketing, dont ils sont les petits bras. Ces entreprises se mettent au service de marques, de la start-up aux multinationales, et inondent les rues de leurs publicités, illégales, en dehors des emplacements prévus à cet effet. Sur leurs sites internet, les agences proposent « des dispositifs qui peuvent prendre de multiples formes, qui s’exposent sur l’espace public de manière inattendue au cœur des plus grands flux et séduisent toute sorte de public ». Elles ne se cachent pas d’enfreindre la loi et partagent leurs créations en ligne. Parfois, celles-ci prennent la forme de fresques murales, réalisées par des artistes rémunérés par les agences, qui investissent alors des espaces de libre expression artistique. Elles proposent aussi de se manifester par des tags sur le sol, des affiches sur des plots, des réverbères, des projections lumineuses ou des voitures sonores qui diffusent la réclame en parcourant les rues. (...)
Les tarifs pratiqués sont souvent bon marché. L’impression et la pose de 1 000 affiches au format A1 coûte par exemple 1 710 euros, hors taxe, chez une agence dont Reporterre a pu consulter les tarifs. (...)
1 600 m2 d’affiches décollées par semaine
Ces entreprises ont, en revanche, un coût pour la collectivité et l’environnement. « L’affichage sauvage commercial est inacceptable et revient, finalement, à ce que des acteurs privés s’approprient des espaces qui appartiennent à tous : la rue, les murs », peste Colombe Brossel, adjointe à la maire chargée de la propreté de l’espace public. Des collectifs d’habitants, comme l’Association des usagers de DansMaRue — un dispositif de signalement d’anomalies dans l’espace public — ou encore le compte Twitter @FabienTipon, s’indignent régulièrement de ces campagnes d’affichage illégales. (...)
« La ville n’appartient plus à ses habitants : nous sommes tabassés par la publicité, où que nous soyons, et les agences prennent les agents de propreté pour leurs larbins », déplore l’un des Parisiens derrière le compte @FabienTipon. (...)
Jointes par Reporterre pour évoquer leurs activités, les agences de guérilla marketing les plus influentes ont toutes refusé de répondre [1]. Néanmoins, deux salariés, contactés directement sur leurs réseaux sociaux, ont accepté de témoigner de façon anonyme. (...)
« depuis deux ou trois ans, tout le monde veut du street marketing : de Netflix à Amazon, en passant par Kenzo, Balenciaga ou The Kooples… on croule sous les demandes et les espaces s’arrachent ! » (...)
Dans les rues de Paris, les agences se livrent désormais une guerre sans merci, dont les vainqueurs gagnent quelques heures ou, parfois, quelques jours d’exposition sur les meilleures surfaces de la ville — les lieux les plus fréquentées par les touristes et les Parisiens. « Le guérilla marketing n’a jamais aussi bien porté son nom, poursuit Octave. On tente de recouvrir les affiches des autres, on repasse plusieurs fois aux mêmes endroits pour s’assurer qu’on est encore visibles. Si vous voulez rester présents sur de très bons emplacements, votre coût explose, il faut limite payer un gardiennage. » En janvier 2021, le groupe de luxe français Kering ne s’en était pas privé (...)
Mais les clients, eux, sont-ils toujours au courant de l’interdiction de cette pratique ? Interpellé en avril 2021 par des habitants après un collage sauvage de plusieurs affiches, le groupe de presse Bayard s’était défendu en expliquant que « cette campagne d’affichage éphémère qui parodie les campagnes électorales a été mise en place sur des lieux dédiés à cet usage », avec « une colle végétale non polluante et biodégradable ». « Il n’y a en fait aucun emplacement dédié à de l’affichage illégal. Et vous le savez. Et votre prestataire également », avait rétorqué l’adjointe de la maire Anne Hidalgo, Colombe Brossel (...)
, « les agences de guérilla marketing proposent même, parfois, des assurances, dans lesquelles elles s’engagent à couvrir les amendes reçues par leurs clients ». Des propos corroborés par un devis consulté par nos soins, qui mentionne explicitement les constats de recouvrement dressés par la mairie, qui mène, selon Colombe Brossel, « une politique volontariste pour mener la vie dure aux agences ». (...)
Fin novembre, des activistes de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP) ont mené une action contre les agences du publicités illégales. Ils ont décollé des affiches et les ont déposées devant l’une des entités, en l’occurrence l’agence Carré Urbain. Les activistes dénonçaient « le business illégal » des agences et demandaient leur « fermeture », une décision qui ne relève pas de la mairie, qui ne peut pas décider de la nullité d’une société. Celle-ci doit faire l’objet d’une procédure en justice, or seules les associations agréées sur l’environnement et la préservation du patrimoine peuvent porter plainte au nom de l’intérêt général. Après l’action, deux militants ont été interpellés par la police et, auditionnés par un officier de police judiciaire. Ils ont reçu un rappel à la loi. Contacté par Reporterre, le cofondateur de la société de marketing n’a pas souhaité répondre à nos questions. (...)