
Tous les commentateurs saluent un accord historique qui aurait sauvé l’OMC et le multilatéralisme, tout en facilitant le commerce mondial au bénéfice des populations. A y regarder de plus près,le paquet de Bali va profiter aux multinationales, les pays pauvres devant se contenter de quelques promesses.
Comportant une dizaine de textes portant sur trois sujets principaux, à savoir « la facilitation des échanges », « l’agriculture » et le « développement », le paquet de Bali ne porte que sur une petite partie de l’agenda du « cycle de développement » initié à Doha il y a 12 ans et jusqu’ici bloqué. En s’accordant sur le paquet de Bali, premier accord depuis la naissance de l’OMC en 1995, les pays membres de l’OMC, désormais au nombre de 160 depuis l’adhésion du Yémen, ont-ils ouvert une nouvelle expansion des politiques de libre-échange et d’investissement au sein de l’OMC que les importantes mobilisations de la société civile, notamment à Cancun en 2003, et les désaccords intervenus entre les pays membres, notamment sur l’agriculture, avaient jusqu’ici limité ? (...)
Psychodrames habituels !
A chaque conférence internationale, son lot de psychodrames et conflits diplomatiques montés en épingle. A Bali, les négociations ont principalement achoppé sur deux points. Le premier concerne les politiques agricoles. Les pays industrialisés, les Etats-Unis en tête, se sont longtemps opposés à une proposition provenant du G33, un groupe de 46 pays « en développement », dont l’objectif annoncé visait à leur permettre de soutenir les paysans et leur agriculture, réduire les risques de famine et atteindre leurs objectifs du millénaire en termes d’alimentation. Dans le but d’assurer leur « sécurité alimentaire », ces pays, l’Inde en tête, exigeaient de pouvoir mettre en œuvre des politiques d’achats de stocks à prix administrés, de subventions agricoles et de mesures compensatoires qui sont très fortement limitées et sanctionnées par l’OMC lorsqu’elles dépassent certains seuils. Ces seuils étant fixés avantageusement en faveur des « pays développés », la proposition visait à obtenir un engagement de ces derniers à ne pas poursuivre les « pays en développement » et leurs politiques de « sécurité alimentaire » le temps que « soit trouvé une solution permanente ».
Les Etats-Unis, refusant de trop grandes concessions, ont finalement obtenu que l’Inde accepte une solution transitoire, nommée « clause de paix »1, encadrée par de nombreuses conditions. Si la référence au fait de « trouver une solution permanente » est bien présente, ce qui semble satisfaire l’Inde, il n’est nulle part précisé quelle forme pourrait prendre cette solution et si elle doit consister en une revoyure partielle ou totale des chapitres du GATT consacrés à l’agriculture. Il est seulement indiqué qu’une telle solution devra être adoptée d’ici quatre ans, lors de la 11ème conférence ministérielle. Par ailleurs la clause de paix ne s’applique que pour les seules cultures de base d’un régime alimentaire d’un pays, restreignant son champs d’application Elle n’est valable que pour les seules politiques de « sécurité alimentaire » existantes à ce jour, et ne pourra couvrir d’éventuelles nouvelles politiques, en Inde ou ailleurs, qui pourront donc être poursuivies devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Par ailleurs, elle ne concerne que la constitution de stocks à prix administrés et non les subventions agricoles et mesures compensatoires (ASCM).
Une « clause de paix » au rabais ! (...)
elle hypothèque toute possibilité de généralisation des politiques de sécurité alimentaire, qui plus est de souveraineté alimentaire, dans les années à venir. Ce qui a fait dire à certains négociateurs du G33 que l’Inde ne négociait que dans la poursuite de son propre intérêt, sans se soucier des besoins et intérêts des autres membres du groupe. La Via Campesina note de son côté que cette clause de paix est une absurdité puisqu’ aucun pays ne devrait avoir à mendier auprès de l’OMC le droit de garantir le droit à l’alimentation, et que les politiques agricoles devraient être exclues de l’OMC. (...)
Parmi les paragraphes supprimés se trouvaient ceux proposés par Cuba pour remettre en cause l’embargo commercial des Etats-Unis sur Cuba qui dure depuis plus de 50 ans. La suppression, unilatérale brutale et irrespectueuse, de ces paragraphes, a attisé la colère de Cuba et des pays de l’Alba représentés à Bali. Dénonçant un texte déséquilibré au seul profit des pays les plus riches et de leurs multinationales, ils ont exigé une modification substantielle du texte. Sans accord sur le texte, les négociations ont été prolongées de plus de 12 heures. Au final Cuba a obtenu qu’il soit fait mention de l’Article V du GATT et de son principe de non-discrimination qu’ils espèrent pouvoir utiliser contre le maintien de l’embargo. Au passage, alors que les paragraphes initiaux étaient intégrés à l’accord sur la Facilitation des échanges, la mention obtenue n’a été rajoutée que dans la seule déclaration ministérielle adjointe aux accords validés à Bali, plus rhétorique que normative. (...)
Le « cycle du développement », une promesse sans lendemain
Si le paquet de Bali intègre une partie en faveur des « pays les moins développés » (Least Developed Countries – LDC), il ne comporte rien de substantiel ou de significatif. La mise en œuvre effective d’un traitement spécial et différencié et d’un mécanisme de contrôle restent de vieilles promesses non tenues, aujourd’hui à l’état de déclaration. Leur mise en œuvre ne bouleversera pas la donne, tandis qu’il est assez choquant que ces mesurettes destinées aux pays les plus pauvres de la planète aient été utilisés comme monnaie d’échange dans ces négociations. Alors que le cycle de Doha avait été annoncé comme celui « du développement », supposé apporter un avenir meilleur et plus juste à la majorité des populations de la planète, le résultat de Bali montre à quel point cette affirmation était sans fondement. (...)
cet accord s’inscrit clairement dans une perspective d’expansion des échanges commerciaux à l’échelle mondiale. Schématiquement, tous les Etats membres, dont les plus pauvres, s’engagent à simplifier les procédures douanières et à mettre à niveau leurs appareils réglementaires et logistiques afin de réduire les coûts des transactions commerciales. Les pays du Nord, et les lobbies privés, ont fait valoir que ces derniers pourraient diminuer de 10 %. Les derniers chiffres annoncés, de l’ordre de 1000 milliards de dollars d’économie et de création de 21 millions d’emplois à l’échelle mondiale, paraissent totalement fantaisistes.
Par ailleurs, comprenant des exigences de libéralisation et d’accès facilités aux marchés, les mesures de « facilitation des échanges » seraient extrêmement coûteuses à mettre en œuvre pour les « pays en voie de développement » et profiteraient surtout aux entreprises multinationales, sans que les pays industrialisés ne fournissent une assistance technique et financière pour leur mise en œuvre (...)
Saluer l’accord de l’OMC à Bali revient à se féliciter d’un accord sur la « facilitation des échanges » contraignant les pays au profit des multinationales et de quelques promesses non tenues mais réaffirmées en faveur des pays pauvres. Les négociations ont échoué à assurer une protection permanente du droit à l’alimentation des populations, au risque d’exposer des centaines de millions de personnes à la faim et la famine dans le seul but de satisfaire au dogme de l’expansion des échanges commerciaux. Il serait temps de mettre fin à cette mascarade et de reconnaître les dégâts qu’on suscité de telles politiques depuis de nombreuses années, et d’en tirer toutes les leçons.