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Libération
« Notre alimentation est la clé majeure pour protéger la biodiversité »
Article mis en ligne le 12 décembre 2016
dernière modification le 11 décembre 2016

La « COP13 biodiversité » se tient ces jours-ci au Mexique dans l’indifférence générale, alors que les espèces disparaissent à un rythme inquiétant. Entretien avec Yann Laurans, économiste et spécialiste du sujet à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

(...) Une COP biodiversité, est-ce l’équivalent d’une COP sur le climat ?

Oui, elle découle des trois conventions signées à Rio durant l’historique Sommet de la Terre de 1992. Il y en a une sur le climat, une sur la désertification, et celle-ci, sur la diversité biologique. Cette convention réunit presque toute la planète, à l’exception des Etats-Unis, George Bush Sr ne l’ayant pas fait ratifier. Par celle-ci, nos gouvernements se sont engagés à arrêter la destruction de notre patrimoine naturel commun. Ils se retrouvent tous les deux ans, contre tous les ans pour les conférences climat.

Que peut-on en attendre de cette COP ?

A la fois pas grand-chose et beaucoup. Pas grand-chose parce que cette convention laisse toute latitude aux Etats de mener leurs politiques. Beaucoup parce que pendant ce type d’événement, la communauté internationale forge ses idées communes sur ce que doit être la politique de la biodiversité. Et de manière diffuse, ces idées influent sur les politiques des gouvernements en matière de conservation, de développement, de recherche. Plusieurs sujets sont apparus durant les COP du passé, qui ont fait l’objet de négociations poussées et d’engagements croissants. Par exemple, la reconnaissance des droits des peuples indigènes et des communautés locales à être associés à toute utilisation du patrimoine biologique et génétique qui se trouve sur leurs terres, et qui a donné lieu, en France, à certaines des dispositions de la récente « loi biodiversité ». Ou bien l’utilisation des instruments économiques pour rémunérer les acteurs qui font des efforts pour la biodiversité.

Les précédentes COP n’ont pourtant pas permis d’enrayer la perte de biodiversité…

Elles l’ont mise à l’agenda mondial. Certes, celui-ci n’est pas contraignant, c’est un système d’annonces et d’engagements sans garanties. Mais sans lui, la biodiversité serait restée une affaire de spécialistes. (...)

Un article de Science paru cette année confirme que la planète est modifiée dans tous ses paramètres depuis les années 50, aussi fortement qu’elle l’a été durant les précédentes ères géologiques. Nous avons créé une « ère artificielle », qui transforme la biosphère de fond en comble, et ce n’est que le début. Certains parlent de sixième extinction car c’est la vitesse et l’accélération des transformations qui impressionne : mille fois supérieure à ce qu’elle serait naturellement, estime un article paru en 2015 dans Conservation Biology. La liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature comptabilise près de vingt mille espèces menacées dans le monde (...).

protéger la biodiversité renvoie à une infinité de choix de toutes natures, qui ne sont pas impossibles ni nécessairement douloureux, mais nombreux et difficiles à relier entre eux et avec la diversité biologique : changements de notre alimentation, choix de ce que nous consommons, semons et plantons, de la manière dont sont construits nos logements, nos routes, dont nous utilisons les produits de l’industrie, dont nous produisons notre énergie, … Tout concerne la biodiversité. De ce fait, il n’y a pas un message simple et univoque, il y a une grande quantité de changements, petits et grands, que l’opinion doit progressivement faire siens et soutenir, ce qui ne peut advenir que lentement. (...)

Pour le climat, plus personne ne dit aujourd’hui, comme c’était le cas il y a vingt ans, que notre choix est entre le nucléaire (ou le charbon) et la bougie. De même, notre choix d’aujourd’hui n’est pas entre le hamburger industriel et la faim. A nous de le montrer. (...)

Les politiques économiques, comme celles de l’agriculture ou de la pêche, poursuivent des objectifs spécifiques, tous légitimes. Elles répondent à une demande sociale d’emploi en nombre, de sortie de la pauvreté, d’alimentation à bas coût, etc. Et les lobbies luttent, avec leurs moyens considérables, pour faire valoir leur intérêt immédiat et de court terme. Ces politiques, ces acteurs, ces groupes professionnels n’ont pas le souci de la biodiversité comme objectif principal. Il nous faut plutôt travailler à convaincre l’opinion et les consommateurs qu’il est possible de nourrir la planète, d’enrichir les paysans, de nous loger et de nous transporter tout en prenant soin du patrimoine naturel. C’est possible, mais cela suppose des modèles de production différents, des filières diversifiées, des soutiens publics dirigés autrement, des consommateurs conscients de leurs choix. Et le rôle des gouvernements, via leurs réglementations coordonnées, reste essentiel. C’est donc éminemment politique, car cela engage des choix. (...)

Les citoyens peuvent tout, car c’est à leur demande que répond l’agro-industrie, c’est avec leur épargne que l’économie se finance, c’est selon leur vote que les gouvernements établissent leurs priorités. Par exemple, lorsque les consommateurs réagissent à une campagne d’ONG qui fait pression sur un groupe agroindustriel pour qu’il arrête de s’approvisionner en viande nourrie au soja, lui-même produit par la déforestation en Amazonie, les réactions sont rapides et radicales : les entreprises sont très sensibles à leur réputation. (...)