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Groupe Jean-Pierre Vernant (2014-2020)
Néolibéralisme : résumé à l’os
#neoliberalisme #fascisme
Article mis en ligne le 3 février 2023

Le néolibéralisme n’est ni une théorie économique ni un libéralisme hypertrophié, mais désigne simultanément une philosophie politique théorisée autour de la Seconde Guerre mondiale, un mouvement social-historique amorcé au tournant des années 1980 et une modalité de gouvernement. Il repose sur l’idée que les marchés ne se constituent pas naturellement, par génération spontanée, mais doivent être construits par la mise en concurrence des individus et des structures, ce qui suppose de produire de la différenciation – et donc un accroissement des inégalités.

Le néolibéralisme n’est ni une théorie économique ni un libéralisme hypertrophié, mais désigne simultanément une philosophie politique théorisée autour de la Seconde Guerre mondiale, un mouvement social-historique amorcé au tournant des années 1980 et une modalité de gouvernement. Il repose sur l’idée que les marchés ne se constituent pas naturellement, par génération spontanée, mais doivent être construits par la mise en concurrence des individus et des structures, ce qui suppose de produire de la différenciation – et donc un accroissement des inégalités. Il postule que la mise en concurrence est le seul processus collectif qui puisse faire émerger la Vérité, autrement inaccessible à la connaissance des individus, et qui garantit donc une efficience productive optimisée.

Pour le néolibéralisme, l’Etat n’est pas l’ennemi à abattre : il y voit un instrument au service du marché, sous le contrôle de celui-ci – moyennant une adhésion et une adaptation de sa technocratie. Le néolibéralisme coïncide avec une transition d’un capitalisme de profit, fondé sur la production marchande, vers un capitalisme de crédit, fondé sur la financiarisation et sur la dérégulation du marché boursier mondial. Il vise au contrôle social par un accroissement apparent de la liberté, en développant un imaginaire qui emprisonne les individus dans leurs propres désirs et qui suscite l’adhésion par l’addiction plutôt que par la discipline. Les techniques de néomanagement (projet, évaluation, classement, benchmarking, best practices) et le système de normes réduisant le politique au gestionnaire (gouvernance) ont pour objectif la soumission à ce contrôle par intériorisation des contraintes.

Le néolibéralisme est une entreprise d’évacuation de l’idée démocratique et du libéralisme politique (pluralisme des rationalités en débat, séparation des pouvoirs, systèmes publics de santé, d’éducation et de justice, etc). C’est un projet de privatisation des existences et d’atomisation de la société, qui ne conduit pas à un “individualisme” mais, au contraire, au règne du conformisme, de l’anomie, du vide de sens et de l’insignifiance. Il constitue l’avènement d’une société bureaucratique en ceci qu’il produit une division du travail politique entre une sphère décisionnaire, réduite à l’édiction de normes gestionnaires et soumise à un contrôle actionnarial et aux lobbies, et des exécutants, condamnés à la privatisation de leurs existences.

Le néolibéralisme et ses évolutions (...)

Chacun le sent avec plus ou moins de clairvoyance : l’heure est venue de sortir de la passivité, de rompre avec le vide de sens et le conformisme ambiants. Nous ouvrons en conséquence une série de quatre billets — conclusion de nos cinq ans d’existence et de réflexion — autour de cette unique question sur l’Université et la recherche [1]…

Que faire ?

Que faire qui n’ait été cent fois tenté ?

Que faire qui n’ait cent fois échoué ?

Et surtout : pour quoi faire ?

Nous entendons cette question en son sens le plus concret et le plus pragmatique. Pour autant, il nous faut procéder par étapes et commencer par nous dégager des questions préformatées qui empêchent, par leur système même de coupures, toute pensée globale et donc toute pensée politique (...)

Je, néant, vide, rien (...)

Tocqueville avait raison : l’atomisation sociale ne conduit pas à la réalisation de soi, à la construction d’individualités qui font leur propre histoire, mais au triomphe du narcissisme, de la solitude, de l’apathie politique [20], du conformisme et de l’insignifiance [21]. A l’opposé de l’idéal démocratique visant à constituer une société réflexive faisant constamment appel à l’activité lucide et éclairée de tous les citoyens pour se réimaginer sans cesse, la société néolibérale, constituée d’individus avides et frustrés, repliés dans leur sphère privée [22] et y accumulant de la camelote, est dans l’incapacité de créer de nouvelles significations sociales et de se mettre en question elle-même. Le néolibéralisme a produit une société frappée d’anomie, qui se désintéresse de son sort en tant que société, mais qui s’est payé le luxe de théoriser son vide de sens et son incapacité à mettre en question la situation elle-même avec ce “complément solennel de justification” qu’est le postmodernisme.

La désagrégation du système éducatif français [23] depuis la fin de l’ère fordiste semble procéder, si l’on en croit les termes du débat public, d’un état de “crise” permanent [24] : crise des contenus, crise structurelle, crise des programmes, crise des méthodes pédagogiques, crise de la “réussite” [25], crise de l’identité nationale et de son récit, crise budgétaire, crise des vocations, crise de l’“autorité du maître”, etc. Le constat le plus évident du changement qui va s’intensifiant avec le néolibéralisme est ainsi passé sous silence : l’éducation n’est plus investie comme éducation ni par les éducateurs, ni par les parents, démissionnaires, ni par les élèves. Le service de la collectivité, la transmission du savoir, l’amour de la belle ouvrage, la conscience professionnelle ou la vocation d’enseignant, qui étaient des valeurs consacrées, sont devenus les oripeaux dérisoires de l’ancien monde — dont il n’est pas question ici d’avoir une quelconque nostalgie. Comment les enfants pourraient-ils intégrer l’injonction nouvelle à voir dans l’école un investissement dans un “capital de compétences” rentabilisé par sa fructification (hasardeuse) à venir ? Par quel miracle l’Université aurait-elle échappé à un mouvement socio-historique d’épuisement et de dévitalisation qui prive les individus des repères, des valeurs et des motivations qui permettent aux individus de faire fonctionner la société et de s’y aménager des formes de vie vivables ?

Si le “consensus building” est la réduction du politique à la gestion, c’est à dire à la police, il ne faut pas l’entendre comme un remplacement du conflit et de la violence par la discussion pacifique et l’accord raisonnable. Du reste, qui peut imaginer que la mise en concurrence généralisée, le salariat précaire, le rétrécissement des droits sociaux, la prédation des richesses, la baisse des dépenses publiques et le chômage de masse se fassent sans heurt. Le contrôle social propre au néolibéralisme se redouble donc d’une surveillance punitive des allocataires d’aides, d’un quadrillage policier des quartiers populaires, d’un gonflement continu de la population carcérale [26] et d’une répression accrue des mouvements sociaux. Ainsi, le revers du consensus est une dégradation des libertés publiques – libertés partielles arrachées par des luttes séculaires et constitutives du libéralisme politique –, et une transformation graduelle de l’Etat de droit en exception permanente. (...)

L’Université néolibérale et la théorie du capital humain (...)

Le groupe Jean-Pierre Vernant a été un intellectuel collectif rassemblant des universitaires de différentes spécialités, unis par l’usage d’un nom propre destiné à casser la mécanique de réputation nombriliste qui corrode le débat public. Mais revêtir un masque, est-ce seulement subvertir l’auctorialité ? Pourquoi avoir choisi la figure tutélaire de Jean-Pierre Vernant, anthropologue de la Grèce antique et Résistant antifasciste, renouant avec une forme modernisée de κολοσσός ? (...)