Formol, mercure, produits ingérés durant la vie… les corps inhumés ou brûlés contiennent des substances toxiques qui polluent les sols et l’atmosphère. En cette période de souvenir de nos morts, Reporterre a mené l’enquête sur ce coût environnemental méconnu.
(...) Depuis les années 1990, les soins de thanatopraxie — les techniques découlant de l’embaumement et qui consistent à embellir le corps dans la mort — se sont largement développés en France. Les défunts ont alors l’air de dormir, ce qui rend l’idée de la mort plus douce. « Ces pratiques ont été introduites en France au cours des années 1980, explique Jean-Michel Lagarde, directeur des crématoriums de Paris. Avant, on conservait les corps par le froid essentiellement. La thanatopraxie s’est développée à partir d’un besoin pratique de conserver les corps plus longtemps », précise-t-il. (...)
les soins de thanatopraxie à base de formol sont pratiqués en France sur près de 70 % des corps. « En dehors de la France et de la Grande-Bretagne, cet usage est interdit, sauf dans des cas particuliers de rapatriement de corps, par exemple. Or, lors de la décomposition du corps, le produit se répand et malgré la législation, la plupart des caveaux ne sont pas étanches. La pollution est donc à envisager à plus ou moins long terme, estime Michel Kawnik, président-fondateur de l’Association française d’information funéraire (Afif). S’il y a des problèmes d’infiltration ou d’inondation, l’eau polluera les terres des cimetières et s’infiltrera dans les nappes phréatiques. C’est une catastrophe », se désole-t-il. Michel Kawnik lutte notamment contre l’utilisation quasi systématique de formol et insiste sur « l’urgence de mise en œuvre de solutions de substitution à l’emploi de produits biocides ». Le problème se pose de manière plus pressante dans les cas d’inhumation en pleine terre. (...)
aucune étude n’a été réalisée sur les pollutions induites par l’inhumation. « La question n’est pas très étudiée, les morts ne consomment pas ! s’amuse Pierre Larribe. C’est un peu frustrant, car même si le funéraire est un petit secteur économique, tout le monde meurt. On manque d’information », déplore-t-il. Il est donc très difficile d’avoir une idée réelle de l’impact de ces produits sur les sols, mais aussi dans l’air lors de la crémation.
Les traitements anticancéreux, par exemple, résisteraient à des températures de plus de 1.000 °C, quand un four de crémation chauffe à 900 °C. À noter par ailleurs que le formaldéhyde est classé depuis 2004 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) comme « substance cancérogène avérée pour l’homme ». (...)
L’inquiétude de l’Afif dépasse cependant les limites de l’utilisation même du formol et porte également sur la crémation des corps formolés. « La France est, là aussi, l’un des rares pays d’Europe à accepter les crémations après injection de produits formolés, alors que cela rejette des dioxines : de véritables poisons ! » s’insurge Michel Kawnik, président de l’Afif. Lors d’une crémation, les produits formolés employés en association avec d’autres molécules chimiques produisent de la dioxine qui peut être à l’origine d’atteintes cutanées, d’altérations de la fonction hépatique, des systèmes immunitaires, nerveux et endocriniens et de la fonction de reproduction.
Au cours de sa vie, le futur défunt ingère ou respire des substances qui pourraient avoir un impact sur sa décomposition et sur la pollution des sols. Au-delà du formol, « les produits ingérés durant la vie ne sont pas anodins, estime ainsi Michel Kawnik, notamment les produits chimiques dans l’alimentation, mais aussi certains traitements médicaux comme la chimiothérapie ou la contraception. Il faudrait repenser nos modes de vie pour limiter cette pollution. Tout ce qui est ingéré et accumulé durant la vie se retrouve dans les sols à la décomposition des corps », plaide-t-il.
À côté du formol, l’attention de l’association se focalise sur un métal pauvre retrouvé dans de nombreux corps : le mercure. Michel Kawnik considère que la crémation est « la première pollution mercurielle de France », notamment du fait des amalgames dentaires en mercure très utilisés il y a quelques décennies dans l’Hexagone. (...)
Pour limiter ces pollutions, l’arrêté du 28 juillet 2010, « relatif à la hauteur de la cheminée des crématoriums et aux quantités maximales de polluants contenus dans les gaz rejetés à l’atmosphère », indique que « les quantités maximales de polluants contenus dans les gaz rejetés à l’atmosphère des installations de crémation autorisées » doivent être mises en conformité avec les chiffres indiqués par ledit arrêté, « dans un délai de huit ans à compter de la date de publication du présent arrêté ». Ce qui impose donc aux crématoriums de s’équiper de filtres.
Selon l’Afif, la France est l’un des rares pays où les crématoriums ne sont toujours pas équipés de tels filtres. « Il y a une véritable action des lobbies, qui affirment que le délai laissé pour s’équiper était trop court, c’est scandaleux ! s’indigne Michel Kawnik. Les pompes funèbres sont des sociétés privées, à but lucratif, qui ne voient que leur rentabilité, sans tenir compte de la santé des personnes vivant près de ces installations, ajoute-t-il. (...)
Quelle méthode privilégier dans ces conditions ? Peut-on estimer, de l’inhumation ou de la crémation, laquelle présente l’impact environnemental le moins négatif ? Difficile d’être catégorique (...)
Le 12 octobre 2017, les Services funéraires de la ville de Paris ont publié une étude analysant et comparant les impacts écologiques de l’inhumation et de la crémation dans la région Ile-de-France. Cette étude locale ne prend pas en compte les soins de thanatopraxie ainsi que leur potentielle toxicité, mais les résultats ouvrent des pistes de réflexion (...)
Pour réduire l’impact des rites funéraires, l’étude fournit quelques pistes d’actions, comme par exemple, diminuer le poids des cercueils ou réduire les quantités de vernis et de teinte.
Les auteurs recommandent également de récupérer la chaleur des gaz produite par la filtration dans les crématoriums, de réutiliser les caveaux existants ou de diminuer le bétonnage systématique des cimetières. « Il est possible d’imaginer à l’avenir des moyens mis à disposition des familles pour les guider dans leurs choix, qui ne seront plus fondés uniquement sur des critères économiques et culturels, mais également sociaux et environnementaux », affirme l’étude.
Mais la question des changements de pratiques dans ce domaine demeure sensible, comme l’atteste l’accueil mitigé des proches de défunts vis-à-vis des politiques « zéro phyto » pour le traitement des mauvaises herbes dans les cimetières (...)